Blog de Laurent Bloch
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ISSN 2271-3980
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Si Charles III est sur le trône d’Angleterre, c’est grâce à Leibniz
Article mis en ligne le 5 novembre 2024
dernière modification le 15 novembre 2024

par Laurent Bloch

Guillaume III d’Orange-Nassau, stathouder des provinces de Hollande, de Zélande, d’Utrecht, de Gueldre et d’Overijssel, appartenant aux Provinces-Unies, petit-fils par sa mère du roi d’Angleterre Charles Ier [1], épouse en 1677 sa cousine germaine la princesse Marie, fille aînée du prince héritier d’Angleterre Jacques Stuart, qui monte sur le trône en 1685 sous le nom de Jacques II. Mais le catholicisme [2] de Jacques II et ses conceptions absolutistes lui aliènent l’opinion anglaise. À la suite de la naissance en juin 1688 d’un fils de Jacques II, la tension est à son comble. Guillaume débarque alors en Angleterre avec un corps expéditionnaire qui obtient rapidement la reddition du roi (décembre 1688). Les Parlements d’Angleterre et d’Écosse réunis en 1689 accordent à Guillaume les deux couronnes, conjointement avec son épouse Marie II, avec qui il gouverne jusqu’à la mort de celle-ci le 28 décembre 1694. Mais ils imposent aussi un certain nombre de limites à ses pouvoirs, énoncées dans la Déclaration des droits (Bill of Rights) de 1689. C’est la Glorieuse Révolution, une étape cruciale sur la route du Royaume-Uni vers la démocratie. On lira avec profit le livre de Daron Acemoğlu et de James A. Robinson (tous les deux lauréats du prix Nobel d’économie 2024) Prospérité, puissance et pauvreté : Pourquoi certains pays réussissent mieux que d’autres (titre original Why Nations Fail : The Origins of Power, Prosperity, and Poverty) qui explique pourquoi cet épisode est décisif pour la marche vers la révolution industrielle, moins d’un siècle plus tard, par la liquidation de l’absolutisme et par la possibilité qui en résulte de l’apparition d’entrepreneurs créatifs.

Après la mort sans descendant de Guillaume III en 1702, sa belle-sœur Anne (1655-1714), autre fille de Jacques II, devient reine d’Angleterre, d’Écosse et d’Irlande. Lorsqu’elle aussi meurt sans descendant en 1714, aucun de ses parents proches ne peut lui succéder, parce qu’ils sont catholiques, or l’Acte d’établissement de 1701 exclut les catholiques de l’ordre de succession. La couronne échoit donc à son cousin issu de germain le prince-électeur de Hanovre George Ier.

Le père de George Ier, Ernest-Auguste, n’était au début de sa carrière que le modeste duc de Brunswick-Lunebourg, mais il espérait bien devenir prince-électeur, et il avait la chance d’avoir dans sa maison son bibliothécaire et conseiller Gottfried Wilhelm Leibniz qui allait l’aider à réaliser cette ambition. Leibniz consacre quatre ans à des recherches généalogiques dans les archives de plusieurs cours d’Europe pour établir l’éminence de son employeur, qui devient prince-électeur de Hanovre en 1692, dignité qui allait plus tard permettre à son fils George de monter sur le trône d’Angleterre. George Ier ne fut guère reconnaissant envers Leibniz, aux funérailles duquel, en 1716, n’assistent que son secrétaire personnel, son copiste et son cocher. Un des plus grands intellectuels de l’histoire européenne disparaissait dans l’indifférence générale, sans doute en partie parce qu’après avoir pendant des décennies révolutionné la science de la logique dans l’espoir de démontrer par là l’existence de Dieu, il en était arrivé à un certain scepticisme qui le fit soupçonner d’athéisme.

Roi d’Angleterre et d’Écosse, George Ier ne parlait pas anglais, toute la cour parlait essentiellement allemand. Ce n’est qu’après l’accession au trône en 1837 de son arrière-arrière-arrière-arrière-petite-fille Victoria qu’elle imposera l’anglais à la cour, et que la famille régnante deviendra vraiment anglaise. Et c’est donc à Leibniz que Charles III, son arrière-arrière-arrière-petit-fils à qui nous devons reconnaissance pour sa défense résolue des fromages français au lait cru contre les tentatives pasteurisatrices de la Communauté européenne, doit d’être le souverain actuel de l’île notre voisine.

Signalons un beau roman dont l’héroïne est la reine Victoria : Le Capital (livre I), de Karl Marx, qui s’est beaucoup intéressé aux améliorations qu’elle a elle-même veillé à apporter au sort de la classe ouvrière britannique. Mentionnons aussi la belle biographie (bien que considérée comme dépassée par les historiens actuels) que lui a consacrée Lytton Strachey, un intellectuel communiste et homosexuel que l’on n’aurait pas attendu dans les rangs des admirateurs de la Reine.