Frantz Fanon fut un psychiatre, philosophe et militant de la Révolution algérienne, né en 1925 à Fort-de-France en Martinique, mort en 1961 à Bethesda dans la banlieue de Washington d’une leucémie foudroyante. Sa première thèse de médecine, refusée par la faculté, sera publiée en 1952 sous le titre Peau noire, masques blancs, une dizaine d’années avant son autre livre le plus célèbre, Les Damnés de la Terre, ce dernier avec une préface de Jean-Paul Sartre. Auparavant il s’était engagé dans l’Armée française de la Libération, avait été blessé au combat dans les Vosges, et il avait participé en 1945 à la campagne électorale d’Aimé Césaire qui se présentait aux élections législatives d’octobre 1945 pour le Parti communiste français. Il soutient sa thèse en psychiatrie à Lyon en 1951, puis il travaille avec le psychiatre François Tosquelles.
Par ses livres et par ses articles, Fanon est encore aujourd’hui un des penseurs à avoir décrit et analysé avec la plus grande profondeur et la plus grande perspicacité la société coloniale, et les effets délétères de la situation coloniale tant sur la psyché du colonisé que sur celle du colonisateur, tous les deux aliénés par un système qui les déshumanise. La radicalité irréfutable de ses analyses refoulera longtemps l’œuvre de Fanon aux marges du milieu intellectuel français, qui a du mal à regarder en face le passé colonial, malgré le soutien de Jean-Paul Sartre et sa préface célèbre (et quelque peu biaisée) aux Damnés de la Terre. La reconnaissance tardive de Fanon en France viendra d’abord de militants issus de ses anciennes colonies, puis de milieux intellectuels étrangers, Italie, Royaume-Uni, États-Unis, avec par exemple Edward Saïd, Judith Butler...
Le film est essentiellement consacré à la période entre 1953, quand Frantz Fanon est nommé chef de service à l’hôpital psychiatrique Blida-Joinville, donc peu avant le déclenchement de la Révolution algérienne, et 1956, quand son engagement aux côtés des insurgés devient trop visible pour qu’il puisse rester en Algérie, il en est d’ailleurs expulsé et il quitte l’Algérie pour Tunis.
Quand Fanon arrive à l’hôpital psychiatrique de Blida, où bien sûr tout le monde commence par le prendre pour un porteur ou pour un domestique tant l’idée d’un docteur en psychiatrie noir semble insolite, il découvre un service, qu’il devra diriger, où les malades sont traités comme des bagnards sous l’Ancien Régime, enchaînés dans des sous-sols obscurs et sordides. Conformément aux idées qu’il avait partagées avec François Tosquelles, il les fait libérer, sortir au grand air, jouer au foot... Il s’entoure d’infirmiers algériens qui lui servent d’interprètes avec des malades qui parlent peu ou pas du tout le français. La direction de l’hôpital lui est très hostile, ses collègues ne lui adressent la parole que lorsque c’est inévitable, mais il est soutenu sans faiblesse par son épouse Marie-Josèphe, dite Josie, qui restera fidèle à ses idées et retournera en Algérie après l’indépendance jusqu’à sa mort. Il est aussi soutenu dans son action tant médicale qu’anticoloniale par deux jeunes internes, Jacques Azoulay et Alice Cherki.
Après le déclenchement de l’insurrection le 1er novembre 1954 les militants du FLN introduisent clandestinement leurs blessés dans l’hôpital pour les soigner, Frantz Fanon ne tarde pas à s’en apercevoir et à les aider. Des militaires français pénètrent dans l’hôpital, s’emparent de ceux qu’ils suspectent pour les emmener dans des centres d’« interrogatoire », en réalité de torture et de mise à mort.
Sous couvert de week-end à la campagne avec Josie, Fanon sort de la ville pour aller dans des douars où il rencontre des combattants pour l’indépendance, il se lie avec Abane Ramdane, membre particulièrement populaire et combatif de la direction du FLN. Il profite de son statut et de sa voiture pour participer à des évasions et à des transports clandestins.
Le film montre un raid de l’armée française dans un douar, des hommes sont tués, d’autres emmenés pour être interrogés sous la torture et assassinés. Rien n’est omis du racisme des militaires et des colons, de la brutalité avec laquelle ils traitent les Algériens.
Un jour des militaires amènent en consultation au cabinet de Frantz Fanon un patient un peu particulier, menotté : le sergent Rolland, que l’on a vu quelques plans auparavant diriger des opérations particulièrement brutales contre la population algérienne. Il a été arrêté pour avoir commis des « violences conjugales ». Cet épisode, comme le film dans son ensemble, illustre un cas réel. Fanon finira par faire comprendre au militaire que l’on ne peut pas passer ses journées à torturer et à tuer pour rentrer le soir chez soi savourer la paix d’un ménage harmonieux. Le sergent Rolland finira par jeter son arme à terre et par refuser d’exécuter un ordre particulièrement inique donné par un officier lors de l’arrestation des malades du service de Fanon.
La fin du film montre l’assassinat d’Abane Ramdane, au Maroc, par les bureaucrates arrivistes de la direction du FLN, qui eux se gardaient bien de mettre les pieds en Algérie.
Je ne comprends vraiment pas comment ce film a pu recevoir autant de critiques négatives : il est tout à fait recommandable, et de plus fidèle à la réalité historique. On peut trouver quelques invraisemblances sans gravité : ainsi la jeune fille qui quitte son douar natal pour venger l’assassinat de son père et entrer dans la résistance armée a tout à fait l’allure d’être en khâgne à Janson de Sailly, mais vraiment cela n’a aucune importance. Allez voir ce film !