Blog de Laurent Bloch
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La manifestation des Algériens le 17 octobre 1961 et sa répression :
Octobre à Paris
Un film de Jacques Panijel longtemps interdit
Article mis en ligne le 31 octobre 2011
dernière modification le 2 novembre 2011

par Laurent Bloch

Début octobre 1961, alors que les négociations entre le Gouvernement
provisoire de la République algérienne (GPRA) et le gouvernement
français pour mettre fin à la guerre d’Algérie progressaient, le
ministre de l’intérieur Roger Frey, sans doute hostile aux
négociations, décide d’imposer un couvre-feu à tous ceux qui étaient à
l’époque désignés officiellement par les termes « français musulmans
d’Algérie ». Pour protester contre cette mesure discriminatoire,
illégale et anticonstitutionnelle, la fédération de France du FLN
convoque une manifestation le 17 octobre à Paris. Les consignes
sont formelles : manifestation pacifique, même si des violences
policières sont à craindre, il ne faut pas riposter.

La manifestation est réprimée par la police avec une violence extrême.
On ne saura jamais toute la vérité, mais il y a des centaines de
morts, jetés à la Seine, abattus à la mitraillette, battus à mort. Le
préfet Papon a promis l’impunité aux policiers, ils ne s’en privent
pas. Des milliers de manifestants sont internés pendant plusieurs
jours dans des conditions inommables, hommes, femmes et enfants ; ils
subissent toutes sortes de tortures et de sévices dont certains
garderont les séquelles pour la vie.

Révolté par cette répression sauvage, Jacques Panijel, ancien
résistant, chercheur au CNRS, décide de tourner un film. Auparavant il
a pris contact avec quelques cinéastes connus pour leur demander de le
faire, mais tous l’ont éconduit, alors il a décidé de le faire
lui-même, avec l’aide de techniciens du cinéma et de quelques amis. Le
tournage commencera fin octobre 1961 et durera jusqu’en mars 1962,
dans les bidonvilles de Nanterre et de Genevilliers, à la Goutte d’Or,
clandestinement, en invoquant le prétexte d’une enquête
sociologique. Des photos et des films d’actualité réalisés pendant les
événements seront incorporés au film. Des habitants du bidonville
participeront à des reconstitutions de la mobilisation du jour de la
manifestation. Des victimes de la répression témoigneront devant la
caméra des tortures subies, des meurtres dont ils ont été témoins.

Depuis il y a eu d’autres films consacrés à la manifestation du 17
octobre 1961, pas beaucoup mais quelques-uns, tournés dans de
meilleures conditions, comme Le Silence du fleuve d’Agnès Denis et
Mehdi Lallaoui ou Ici, on noie des Algériens de Yasmina Adi.
Signalons aussi Jours de colère, de Vincent Nordon, sorti en
1973, soit le premier film en salle consacré au 17
octobre 1961. Mais
le film de Jacques Panijel est unique parce qu’il donne à voir les
protagonistes de l’événement eux-mêmes, dans les lieux misérables où
ils vivaient, et il leur donne la parole, sans artifice.

Jacques Panijel n’était pas cinéaste, mais chercheur en biologie, et
créateur avec Pierre Vidal-Naquet et Laurent Schwartz du Comité
Maurice Audin, du nom du mathématicien torturé à mort par les services
français en 1957 (Laurent Schwartz avait dirigé sa thèse). Dans un
entretien à la revue Vacarmes, à l’été 2000, Jacques Panijel
racontait : « J’ai tourné à partir de la fin 61 et pendant six mois
dans les bidonvilles et à la Goutte d’or. Sachant ce qu’avaient été
ces journées, il fallait que je les fasse revivre à l’intérieur même
du bidonville (...). Le film est conçu comme une tragédie en trois
actes : avant, pendant, après : l’organisation et le départ de la
manifestation que nous avons pu reconstituer, la manifestation
racontée par des photographies, et les témoignages filmés après la
manifestation. Il fallait retrouver des hommes qui avaient échappé de
justesse à la mort ; retrouver des gens qui avaient été balancés à la
Seine et s’en étaient sortis. »

Longtemps interdit, une copie volée par la police lors d’une
projection privée, Octobre à Paris a finalement reçu son visa
d’exploitation après une grève de la faim du cinéaste René Vautier en
1973, mais Jacques Panijel ne souhaitait pas que son film soit projeté
sans être précédé d’une sorte de préface cinématographique, qui le
replace dans son contexte. Le cinéaste Mehdi Lallaoui, lui-même auteur
d’un film sur le 17 octobre, Le Silence du fleuve, et président de
l’association Au nom de la Mémoire, a réalisé un court-métrage,
projeté en première partie de la séance, où Daniel Mermet, témoin de
la manifestation d’octobre 1961, l’écrivain Jean-Luc Einaudi (Octobre
1961. Un massacre à Paris)
, l’historien Gilles Manceron, et l’avocate
Nicole Rein apportent leur témoignage.

Tout donne à craindre que ce fim capital ne reste pas longtemps à
l’affiche : précipitez-vous. Sans oublier les autres films consacrés à
cet épisode particulièrement abject de l’histoire de France.


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