Blog de Laurent Bloch
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Un film biographique de Terence Davies
Emily Dickinson, une passion tranquille
ou « une âme en incandescence » ?
Article mis en ligne le 18 mai 2017
dernière modification le 31 mai 2019

par Laurent Bloch

A Quiet Passion, ou Emily Dickinson, une passion tranquille en France, est un film anglo-belge réalisé par Terence Davies, sorti en 2016. Il présente un récit de la vie de la poétesse américaine Emily Dickinson (1830-1886, la page Wikipédia permet de lire quelques poèmes, en anglais et en français), qui a passé toute sa vie à Amherst, Massachusetts, hormis quelques années de scolarité au séminaire féminin du mont Holyoke et un voyage à Washington, où son père siégeait à la Chambre des Représentants, et à Philadelphie.

C’est une collègue qui m’a fait découvrir Emily Dickinson, dont la reconnaissance, même dans son pays, et plus encore en France, fut assez tardive, disons dans la seconde moitié du XXe siècle. Elle est aujourd’hui considérée comme un auteur majeur.

Le recueil bilingue de ses poésies publié par les Éditions José Corti est sous-titré « Une âme en incandescence » : cette expression va bien à Emily Dickinson, dont la vie a été recluse et solitaire, à la rare exception de sa famille proche et de quelques amitiés surtout épistolaires, mais dont l’esprit et l’intellect bouillonnent et jaillissent à chaque instant, avec une exigence sans concession.

Le film s’ouvre sur la cérémonie de remise des diplômes à Holyoke College, établissement d’un protestantisme d’obédience puritaine particulièrement sévère, qui s’efforce d’attirer ses élèves vers une vie consacrée exclusivement à Dieu, et là d’entrée la jeune Emily manifeste son refus d’emprunter les voies toutes tracées par d’autres, en expliquant qu’elle ne saurait s’engager envers Dieu sans être assurée de sa propre foi, assurance qui lui manque. L’ambiance familiale de la maison Dickinson est à peine plus folâtre, mais le père d’Emily, Edward Dickinson, avocat et homme politique, s’il ne plaisante pas avec la religion, possède un esprit ouvert et favorable au développement intellectuel de ses filles. Dans ces années qui précèdent la Guerre civile, la famille est résolument abolitionniste, et manquer de respect aux domestiques n’est pas toléré.

C’est en lisant le livre de Samuel Huntington (horresco referens) Qui sommes-nous ? (Who are we ?) que j’ai un peu mieux compris l’attitude des Américains à l’égard de la religion, et ce qui les sépare de l’attitude de la plupart des Européens : en Europe, depuis des siècles sinon des millénaires, la religion a partie liée avec le souverain, c’est-à-dire bien souvent un autocrate sinon un tyran, et de ce fait elle est perçue comme une force hostile à la liberté, ce qui explique la popularité de l’anticléricalisme, surtout dans les pays latins et catholiques (France, Italie, Espagne...).

Aux États-Unis il en va tout autrement. Les premiers colons qui ont traversé l’Atlantique pour fonder les premières colonies fuyaient les persécutions dont ils étaient victimes du fait de leur dissidence religieuse : puritains anglais de diverses obédiences [1], mais aussi dissidents hollandais. L’idée de religion est pour eux, encore aujourd’hui, indissociable de celle d’une liberté durement acquise. Et pour des raisons évidentes il en va de même pour les Juifs qui ont fui les pogroms de l’Empire russe et des États qui lui ont succédé. C’est une partie de l’explication de l’identification viscérale de l’opinion américaine à l’État d’Israël, dont les enquêtes constatent, de façon d’ailleurs pas si paradoxale que cela, que c’est parmi les Juifs qu’elle est la plus faible.

Le film de Terence Davies permet d’entendre quelques poèmes d’Emily Dickinson, la photographie est belle, et contrairement à ce que l’on pourrait craindre d’un scénario si pauvre en événements, on ne s’ennuie jamais, parce que l’action est dans « l’âme en incandescence » de l’héroïne. Ne manquez pas d’aller le voir, il risque de ne pas durer.

Pendant que nous y sommes : il faut aussi aller voir Paterson, film de Jim Jarmusch avec Adam Driver et (surtout) Golshifteh Farahani, c’est aussi un très beau film, il évoque aussi la poésie américaine (d’une autre école, sans doute, mais pas sans lien avec celle d’Emily Dickinson), et en plus c’est une bonne leçon de vie conjugale :-)


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