En 2013 le ministère chargé du logement déclarait que les besoins de construction étaient de 400 000 à 500 000 logements par an durant 10 ans en raison de la diminution continue de la taille moyenne des ménages et de la croissance démographique. Deux spécialistes de l’économie de l’immobilier, Jean Bosvieux et Bernard Coloos, respectivement rédacteur en chef et membre du comité de rédaction du site Politique du logement.com, ont entrepris de voir ce qu’il en était, d’explorer les causes des phénomènes qu’ils ont observés (qui ne coïncident pas exactement avec l’assertion ministérielle), et de proposer des moyens d’améliorer le fonctionnement du marché du logement. Le résultat de ces investigations est consigné dans le livre Logement - Sortir de la jungle fiscale, aux Éditions Economica, dont la lecture est recommandée à quiconque veut y voir clair sur ce sujet dont l’importance n’échappe à personne.
« Le parc français de résidences principales se décompose pour l’essentiel en trois grands segments : les logements occupés par leur propriétaire (57 %), le parc locatif privé (22 %) et le parc locatif social (18 %) [...] Depuis la seconde guerre mondiale jusqu’au milieu des années 1980, la politique de développement de l’offre a consisté d’une part à financer la construction de logements locatifs sociaux, d’autre part à soutenir le développement de la propriété occupante. » (p. 1). Il apparaît depuis le milieu des années 1980 que le parc social et celui des propriétaires occupants ne sauraient suffire à loger tous les aspirants à un logement, et que le développement du parc locatif privé, longtemps négligé, est nécessaire. Or ce développement est aujourd’hui entravé par nombre d’obstacles réglementaires et fiscaux assez incohérents qu’il faudrait lever. L’essentiel du livre est consacré à l’étude de cette question et à une proposition de solution.
De 1914 à 1948 les loyers étaient bloqués par la loi : le résultat fut la dégradation de l’habitat et la pénurie de logements. De 1948 au milieu des années 1980 la politique du logement orienta les ménages les moins prospères vers les logements sociaux et les autres vers l’accession à la propriété, par le jeu de nombreuses mesures incitatives telles que fiscalité favorable (déduction du revenu imposable des remboursements d’emprunts et des travaux par exemple), conditions d’épargne et d’emprunt aménagées, etc. Depuis les années 1990 l’évolution de la société fait que ce modèle ne suffit plus : la taille et la stabilité des ménages diminuent, le marché du travail suppose de plus en plus de mobilité résidentielle, les prix de l’immobilier augmentent. La population jeune, en début d’activité professionnelle, ne peut accéder qu’au parc locatif privé.
Depuis le milieu des années 1990 au moins les prix de l’immobilier augmentent régulièrement dans les zones d’activité économique prospère. L’État s’est avisé de capter une part significative de cette manne, ce qui a engendré la prolifération désordonnée de mesures fiscales opportunistes [1], relatives notamment aux droits de mutation, à la taxation des plus-values et des transferts de propriété entre vifs, aux taxes foncières et aux droits de succession, désordre dont les auteurs du livre dressent une fresque aussi complète et intelligible que possible. On a en effet parfois l’impression que le législateur lui-même ne sait pas très bien ce qu’il fait, par exemple lorsque la loi ALUR (Amélioration du logement et urbanisme rénové, dite aussi Duflot 2, cf. p. 69) prévoit l’encadrement de certains loyers, alors qu’une multitude d’expériences permettent de dire que ce type de mesure est au mieux inefficace, et souvent catastrophique.
La conjonction de ces facteurs se répercute défavorablement sur le parc locatif privé, parce qu’il diminue l’attrait du statut de propriétaire-bailleur. Les investisseurs institutionnels ont pratiquement totalement abandonné ce terrain, au profits d’autres marchés peut-être aussi incertains, mais plus lucratifs et aussi plus liquides : par nature l’immobilier est peu liquide, peu mobile, peu dissimulable.
Le fisc peut taxer la propriété immobilière de quatre façons : lors de l’acquisition (à titre onéreux ou non), sur les flux de revenus, sur la détention (taxes foncières et ISF), sur les gains en capital à la revente (cf. p. 147). Les auteurs nous expliquent qu’aucun de ces prélèvements n’est illégitime en soi, mais qu’il serait souhaitable qu’ils soient instaurés dans le cadre d’une politique cohérente, en fonction d’objectifs clairs, avec équité, et surtout avec un esprit de suite qui donne aux éventuels investisseurs une visibilité raisonnable sur le sort de leurs capitaux. Les mesures erratiques qui se succèdent surtout depuis les années 1990 ont accéléré la désertion des investisseurs institutionnels, cependant que les acheteurs individuels sont à l’affût d’avantages fiscaux procurés par telle ou telle mesure ponctuelle mal calculée. Il y a un marché de ces mesures dérogatoires, avec des agences qui au fil des ans proposent du Scellier, du Duflot, etc. Le lecteur trouvera dans l’ouvrage une narration assez détaillée (l’exhaustivité serait trop volumineuse) de ces rebondissements.
Pour conclure, J. Bosvieux et B. Coloos effectuent une comparaison détaillée de la législation française avec le système allemand, qui leur semble raisonnable et équilibré et dont ils suggèrent au législateur français qu’il devrait s’en inspirer. Ils suggèrent d’appliquer à l’investissement locatif la fiscalité de droit commun des activités productives (p. 179).
Ils précisent (p. 176) que « la révision des valeurs locatives ... apparaît comme la clé de voûte de toute réforme digne de ce nom de la fiscalité immobilière » : en effet, les valeurs locatives des biens déterminent l’assiette des taxes foncières, une des dernières ressources dont les collectivités locales conservent la maîtrise, ces valeurs ont été fixées il y a longtemps (années 1970) de façon assez arbitraire et imprécise, et ce dispositif aboutit à ce que la taxation soit la plus lourde dans les territoires les plus pauvres habités par les populations les moins prospères, avec de grandes disparités géographiques. Bref, ce système inique doit être révisé.
Le système actuel instaure une disparité excessive entre les ménages selon le statut d’occupation de leur logement, très favorable aux propriétaires occupants et défavorable aux locataires du parc privé. Il privilégie massivement la propriété alors que rien ne le justifie. J. Bosvieux et B. Coloos proposent de rétablir la taxation, abandonnée en 1965, des loyers implicites que se versent les propriétaires occupants en ne payant pas de loyer explicite. Sans se dissimuler les difficultés techniques et politiques d’une telle mesure, ils proposent d’en diminuer la charge par la suppression en contrepartie des droits de mutation et de la taxation des plus-values immobilières, ce qui aurait pour effets bénéfiques supplémentaires de fluidifier le marché et de faciliter la mobilité résidentielle.