La scène est à Ramallah ; Badia, l’héroïne, sort de l’orphelinat où s’achevait son adolescence, monte dans le taxi qui l’attendait, puis arrive devant une villa où l’accueille, si l’on peut dire, sans un mot ni un sourire, une dame d’un certain âge dont nous apprendrons qu’elle est sa tante Juliette Touma.
Juliette vit ici, dans la Villa Touma (qui donne au film son titre dans la version originale en arabe) avec ses sœurs Violette et Antoinette, dernières descendantes d’une famille de l’aristocratie chrétienne palestinienne, ruinées par la guerre des six jours, femmes sans hommes, recluses et frustrées. Leur frère Anis, le père de Badia, a été mis au ban de la famille pour avoir épousé une femme musulmane, les deux époux sont morts, et les tantes ne recueillent la jeune fille qu’à contrecoeur. Elles vont malgré tout essayer de la marier en espérant ainsi redonner un peu de lustre à leur famille éteinte.
La vie à la Villa Touma est sinistre, claustrale, on pense au huis-clos du film tunisien de Raja Amari Les Secrets : ici comme là trois femmes vivent totalement à l’écart du monde, pour cacher un secret honteux, à Ramallah celui de la perte d’un statut social aristocratique(« dans le temps seuls les riches avaient le diabète, maintenant tout le monde l’a »), en Tunisie celui d’une naissance hors mariage, ce qui finira par arriver aussi à Ramallah, et provoquera ici comme là une situation tragique au-delà de toute expression.
Les tantes traînent Badia de cours de piano en leçons de français, de thés mondains en mariages et en enterrements dans l’espoir de lui faire rencontrer le prince charmant, mais la nièce ne trouvera rien de mieux que de tomber amoureuse d’un jeune musulman de milieu populaire, engagé dans la résistance de surcroît.
De ce film émane une atmosphère d’enfermement au cube : enfermement physique de ces femmes dans la Villa Touma, leur enfermement psychique dans une société qui n’existe plus, enfermement politique des Palestiniens, évoqué avec d’autant plus de force qu’il ne l’est que par litotes et allusions. Rien n’est épargné au spectateur, et pourtant quand la lumière se rallume on se dit qu’à ne pas voir ce film on aurait vraiment raté quelque chose de grand.