Blog de Laurent Bloch
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ISSN 2271-3980
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Un film de Mohammad Rasoulof :
Les Graines du figuier sauvage
Article mis en ligne le 3 octobre 2024
dernière modification le 4 octobre 2024

par Laurent Bloch

Le cinéma iranien est vivace, dynamique, contestataire, il est juste regrettable que ses créateurs les plus remarquables soient astreints à des séjours périodiques en prison et finalement à s’exiler secrètement. C’est entre autres le cas de Mohammad Rasoulof, de qui j’ai vu Un homme intègre et Le Diable n’existe pas, duquel j’ai écrit un bref compte-rendu. Son dernier film, Les Graines du figuier sauvage, a été tourné clandestinement en Iran, puis le metteur en scène a quitté clandestinement le pays pour échapper aux cinq ans de prison auxquels il venait d’être condamné.

Le début du film nous montre Iman, un fonctionnaire de la justice iranienne, qui vient d’obtenir une promotion : il est nommé enquêteur, et si tout se passe bien il a de bonnes chances de devenir juge d’instruction. Certes, ce poste comporte des contraintes : il doit rester discret sur ses activités et circonspect vis-à-vis de ses fréquentations.

Iman annonce sa promotion à son épouse Najmeh, qui est folle de joie : ainsi ils vont sans doute obtenir un appartement de quatre pièces, ce qui permettrait à leurs deux filles adolescentes, Rezvan et Sana, d’avoir chacune leur chambre. Elle presse son mari d’apprendre la bonne nouvelle à leurs filles.

Iman ne va pas tarder à découvrir que sa nouvelle fonction comporte d’autres contraintes, plus lourdes : il doit contresigner des ordres d’exécution capitale transmis par le procureur, sans avoir le temps d’examiner le dossier. Comme il est potentiellement menacé par l’« ennemi », il reçoit une arme de service, un pistolet pour sa protection et celle de sa famille, qu’il range tous les soirs dans sa table de nuit.

À la même période, les manifestations nationales du mouvement « Femme, Vie, Liberté » contre le port obligatoire du hijab gagnent en ampleur et ses filles y sont indirectement mêlées. Ainsi, lorsque sa femme et ses deux filles aident une étudiante blessée lors d’une charge de police, par ailleurs seule amie de sa fille aînée, les trois décident de garder l’incident secret pour Iman.

Pendant ces événements, le film montre la vie de la famille perturbée par les événements politiques, et les scènes familiales alternent avec des séquences vidéo réalisées par des manifestants et publiées sur les réseaux sociaux, séquences prises sur le Web, on y voit la révolte de la jeunesse et les brutalités des gardiens de la révolution et de la police. Dans une interview, Mohammad Rasoulof explique que dans un pays où les médias sont muselés par un régime totalitaire, les téléphones portables et leur caméra intégrée sont un véritable vecteur de liberté.

Un matin, le pistolet d’Iman n’est plus dans le tiroir où il le range chaque soir. Cette perte pourrait le conduire en prison et mettre un terme à son ascension sociale. Il devient suspicieux envers les trois femmes du foyer, il pense que l’une d’elles l’a pris et lui ment.

L’angoisse tourne au drame, l’atmosphère devient de plus en plus pesante, jusqu’à ce qu’Iman décide d’emmener toute la famille dans son village natal pour une séance de brain storming censée élucider le mystère du pistolet et atténuer les tensions.

Le village, à moitié détruit, est dans un site magnifique. Alors que jusque là le film était enfermé dans un huis-clos étouffant, dans cet environnement rural l’espace et le ciel s’ouvrent et les tensions s’exacerbent. Le dénouement est réservé à ceux qui iront voir le film, que je ne saurais que vous conseiller.

Mohammad Rasoulof a tourné son film clandestinement en Iran, après quoi il a quitté le pays secrètement. Lors d’une interview il a expliqué que l’idée du scénario lui était venue lors de l’un de ses cinq séjours en prison : un jour des dignitaires du régime sont venu inspecter la prison, l’un d’eux s’est approché et lui a dit : « Je me désole de voir des gens comme vous ici. Je ne sais pas quoi répondre à ma femme et à mes enfants qui m’interrogent sur ce que nous faisons. » Ce clivage de personnalité de certains agents du pouvoir est le signe de failles (inévitables) du pouvoir dictatorial. C’est ainsi qu’une tyrannie peut s’effondrer.

Je n’ai pu m’empêcher, tout au long de ce film, de constater la proximité de l’Iran d’aujourd’hui avec l’URSS d’avant-hier : le totalitarisme, hors les idéologies invoquées superficiellement, repose au fond sur les mêmes mécanismes de tyrannie.