par Laurent Bloch
Il est difficile de contenir son émotion en voyant ce film, en y repensant. Sepideh Farsi, réalisatrice iranienne en exil, voulait filmer Gaza sous les bombardements israéliens, mais elle n’a pu franchir la frontière, et du Caire elle a pu entrer en contact avec Fatima Hassouna, photojournaliste à Gaza. Pendant un an, elles sont restées en contact téléphonique, et le film montre le plus souvent l’écran du téléphone de Sepideh, où apparaît le visage de Fatima, toujours souriante, toujours enjouée, maquillée pour faire bonne figure, sauvegarder sa dignité et celle des siens, bien qu’elle et sa famille n’aient souvent rien à manger, ou de la nourriture pour animaux, et de l’eau souillée. Ils vivent entassés dans une pièce unique, doivent souvent se réfugier dans un abri lorsque les bombardements se rapprochent, leur santé se dégrade. Douze membres de sa famille ont été tués dans un bombardement en janvier 2024.
Une amitié se noue entre les deux femmes, au fil des communications téléphoniques, souvent interrompues, souvent de piètre qualité, l’accès à Internet est intermittent, incertain. Fatima va parfois chez une amie chez qui le réseau est meilleur. Chaque sortie est un risque mortel, mais elle sort aussi prendre des photos, pour témoigner du sort de Gaza. Ces photos apparaissent dans le film entre les conversations téléphoniques, on voit que Fatima a du talent, ses travaux sont publiés dans The Guardian et dans d’autres médias internationaux, la dernière photo est glaçante, vous la découvrirez quand vous assisterez au film, un impératif catégorique. Vous verrez aussi l’ampleur des destructions, la misère des habitants.
Le documentaire Put Your Soul on Your Hand and Walk (Mets ton âme sur ta main et marche), réalisé par Sepideh Farsi, est sélectionné dans le cadre de la section parallèle ACID du Festival de Cannes 2025. Dans leur dernier échange, où Sepideh lui annonce cette sélection, Fatima lui répond : « Je viendrai, mais je dois retourner à Gaza. Je ne veux pas quitter Gaza ». Ce soir là, elle publie son dernier message sur Instagram, un coucher de soleil à Gaza avec la légende : « C’est le premier coucher de soleil depuis longtemps ». Le lendemain, elle est délibérément assassinée avec toute sa famille par une frappe ciblée de l’armée israélienne en plein déchaînement barbare. Elle avait 24 ans et préparait son mariage.