Blog de Laurent Bloch
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Regards vers Gaza
Article mis en ligne le 10 septembre 2014
dernière modification le 11 septembre 2014

par Laurent Bloch

Une situation coloniale

La règle que je me suis fixée m’interdit de trop parler de politique sur ce blog, mais parfois le silence est critiquable. C’est le cas pour ce qui s’est passé à Gaza, encore une fois. Rien ne justifie les sept semaines de bombardements israéliens qui ont tué plus de 2 000 personnes sur ce territoire grand comme un ou deux cantons français et où vivent 1 800 000 habitants, privés de toutes les libertés que les peuples anciennement colonisés ont obtenues depuis des décennies. Les Gazaouis n’ont pas le droit d’entrer et de sortir librement de leur territoire, ils ne peuvent avoir ni port ni aéroport, les pêcheurs ne peuvent pas aller au large, les communications téléphoniques et par Internet sont filtrées par les autorités israéliennes, bref c’est comme un Bantoustan de l’époque de l’apartheid en Afrique du Sud.

La situation coloniale sévit aussi en Cisjordanie. L’armée israélienne prétend annexer 400 hectares de terres sous le prétexte qu’elles seraient en déshérence, ce qui est faux bien entendu. Si on regarde ce qui reste de territoire aux Palestiniens après les charcutages territoriaux dûs aux colonies et aux routes dites « de sécurité » qui les relient, ce sont des lambeaux de terrain ridicules. Bref, la vision du gouvernement israélien pour le territoire palestinien, c’est une sorte de camp de regroupement, en langage clair une prison à ciel ouvert.

Le prétexte sécuritaire

Un des arguments avancés pour justifier ce genre d’exactions, comme par exemple l’interdiction faite aux Palestiniens de prendre les bus réservés aux colons pour aller travailler en Israël, c’est « la sécurité ». C’est un fait d’observation : lorsqu’il y a colonisation, les sentiments des colonisés à l’égard des colonisateurs risquent de manquer de sympathie, et peuvent même devenir franchement hostiles. C’est humain : pendant l’occupation de la France par les Allemands, ceux-ci n’ont guère réussi à se faire aimer. Alors, « pour des raisons de sécurité », les autorités coloniales instaurent des barrières et des séparations. Cela s’appelle l’apartheid. Et il s’agit bien de colonisation dans tous les sens du terme : les Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza ne sont ni des citoyens israéliens, ni des citoyens d’un État indépendant qui serait la Palestine, ils sont les sujets d’une autorité coloniale qui délègue certaines tâches administratives à des institutions palestiniennes, mais sous son contrôle étroit.

Bref, si les autorités israéliennes veulent plus de sécurité, elles doivent aller vers moins de colonisation, et pour être plus précis, vers l’arrêt de la colonisation. Mais je crains que l’on n’aille pas dans cette direction, et je vois la situation en Israël et en Palestine évoluer de plus en plus comme celle qui régnait en Algérie en 1961 et jusqu’en février 1962.

D’où vient l’islamisme radical ?

Oui, me dira-t-on, mais peut-on faire confiance au Hamas, qui contrôle Gaza ? D’abord, si le Hamas contrôle Gaza, c’est parce que le gouvernement israélien l’y a encouragé, pour mettre des bâtons dans les roues de l’Autorité palestinienne. Et puis maintenant, ils y ont été démocratiquement élus, alors s’il faut négocier avec quelqu’un, c’est avec eux. D’ailleurs ils viennent de se réconcilier, au moins formellement, avec l’Autorité palestinienne, il eût été bon d’en profiter pour ouvrir des négociations, au lieu de déclencher des représailles complètement disproportionnées après le meurtre de trois jeunes colons. Les autorités françaises en Algérie avaient réagi de même à Sétif et à Blida en 1945 : les fruits de cette politique criminelle ont été récoltés quelques années plus tard.

Je dois dire que la politique du Hamas ne m’inspire pas une grande sympathie, pas plus que celle des autres mouvements islamistes radicaux. Mais bon, ce sont ceux que leurs peuples ont choisis, et d’ailleurs l’Occident et Israël ne sont pas pour rien dans ces choix. Un ami palestinien me l’avait fait remarquer il y a déjà de nombreuses années. Les pays occidentaux, États-Unis en tête, se présentent partout depuis 1945 comme les porte-drapeaux de la démocratie et de l’état de droit, bienfaits qui seraient absents des anciens pays coloniaux. Mais lorsque les peuples arabes constatent l’injustice constante subie par les Palestiniens depuis 66 ans, et le parti-pris constant des pays occidentaux en faveur d’Israël, comment pourraient-ils prendre au sérieux cette démocratie et ce droit ? et comment ne pourraient-ils pas se tourner vers une autre tradition juridique, par exemple la leur, leur fût-elle enseignée sous une forme dévoyée par le wahabisme le plus obscurantiste ? Les Occidentaux (dont nous) doivent bien comprendre que le sort fait aux Palestiniens a causé beaucoup de tort aux idées de démocratie et d’état de droit dans le monde arabe, dans la mesure où ces idées étaient sans cesse invoquées pour justifier leur spoliation.

Sortirons-nous un jour de ce drame ? Les Palestiniens, surtout, en sortiront-ils un jour ? La situation présente n’est guère encourageante. Néanmoins : le printemps arabe de 2011 semble avoir tourné court, mais n’oublions pas qu’en 1848 le printemps des peuples européens avait, lui aussi, été écrasé, ce qui n’a pas empêché cette génération d’obtenir ultérieurement plus de liberté et de démocratie. Bon, la suite de l’histoire n’a pas été idyllique, et je ne souhaite pas aux Arabes de connaître des événements similaires à ceux connus par l’Europe de 1914 à 1945. N’est-ce pas déjà ce que vivent les Irakiens, les Syriens, les Bahreinis ? Mais aussi, une génération s’est levée en 2011, elle pourra sans doute changer son monde.


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