Blog de Laurent Bloch
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ISSN 2271-3980
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Un film israélien sur Gaza et la société israélienne
« Oui » (« Ken ») de Nadav Lapid
Glaçant
Article mis en ligne le 22 septembre 2025

par Laurent Bloch

Ce matin dans sa chronique de France Culture Lucile Commeaux rendait compte de deux films consacrés à Gaza : Put your soul on your hand and walk de la réalisatrice iranienne Sepideh Farsi, que je n’ai pas encore vu, et Oui du réalisateur israélien Nadav Lapid, que j’ai vu.

J’avais vu une interview de Nadav Lapid : il y déclarait qu’Israël commettait un crime à Gaza, que les citoyens israéliens, d’accord ou pas d’accord, étaient partie prenante de ce crime, et que la seule solution morale était de quitter cette société. Je voulais voir son film pour en savoir plus. Je n’ai pas été déçu, j’ai passé deux heures et demie très désagréables mais indispensables.

Oui montre une société israélienne hideuse et putride. Le personnage central, désigné par l’initiale Y., est un artiste dévoyé qui se vend, avec sa femme Jasmine, dans les raouts de la bonne société sénescente en stimulant les sens émoussés de ces banquières et de ces généraux avec des fantasmes frelatés, et la soirée se termine dans la prostitution. La cinématographie et la musique sont à l’avenant, clinquantes, bruyantes, laides pour tout dire.

Après quelques épisodes de ce style, par exemple sur un yacht, Y. rend visite à sa femme précédente, Leah, qui vit près de la frontière avec Gaza : même si l’on ne voit la ville que de loin, surmontée des nuages de fumée des bombardements, on comprend que ce qui s’y passe constitue l’arrière-plan permanent du film. On n’en oublie pas pour autant les crimes du Hamas, récités par Leah (mais loin de moi l’idée d’une symétrie entre les deux horreurs)

Outre le génocide à Gaza, un autre arrière-plan nourrit ce film : la réécriture d’un hymne israélien créé en 1948 et récemment doté de paroles nouvelles, suprémacistes et racistes, qui appellent à l’éradication des Palestiniens, « c’est ainsi qu’Israël extermine ses ennemis », le tout chanté par un chœur d’enfants, les petites filles vêtues de tulle blanc.

Cet épisode avec des enfants m’a fait penser au film de 1991 Izkor, les esclaves de la mémoire, du cinéaste israélien Eyal Sivan, documentaire tourné dans des écoles israéliennes, de la maternelle au lycée, qui signalait les failles du récit national israélien : amalgamer des promesses territoriales hypothétiques formulées paraît-il il y a plus de trois millénaires, les événements tragiques du génocide des Juifs survenus en Europe pendant la domination nazie, et un projet de colonisation au Moyen-Orient, en plaçant tout sur le même plan, avec le même degré d’historicité ; cela ne peut produire qu’une idéologie nationaliste fallacieuse, inculquée à grand renfort de slogans dès l’école maternelle, méthode quasi soviétique.

Lucile Commeaux a dit sortir de ce film « en totale panique morale », elle disait auparavant qu’il était « très compliqué de savoir que penser de ce film, qui s’approche très près de l’abjection en voulant la représenter, et dont on ne sait jamais si, avec sa forme outrée, écœurante et effrayante, il mime la déchéance, ou s’il la met à distance pour la dénoncer ». On ne saurait mieux dire, néanmoins je crois qu’il faut le voir, pour avoir avec un peu de recul une idée des événements en cours.

Un lecteur me demande si le film n’est pas d’une outrance pénible à voir : ce qui est pénible à voir, c’est l’outrance des événements réels en cours, dont le film ne donne qu’une vision stylisée, et oui, en prenant du recul on tombe dans la fosse à merde. De toute façon nous y sommes plongés, alors autant que ce soit en toute conscience, c’est pourquoi j’encourage mes lecteurs à voir le film. En prenant soin d’avoir en sortant l’occasion de se changer les idées, pour ne pas passer une trop mauvaise nuit.

Au fait, à la fin du film, l’héroïne, Jasmine, affirme refuser que son fils grandisse dans cette société et qu’il lui faut quitter Israël pour l’Europe.