Blog de Laurent Bloch
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ISSN 2271-3980
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Berlin 1963 - 2010
Article mis en ligne le 25 avril 2010
dernière modification le 28 juillet 2022

Voyage en RDA

En 1963, à l’issue de ma classe de seconde, mes parents m’ont envoyé en séjour linguistique en Allemagne de l’Est. La première moitié du séjour avait lieu au Romanisches Institut (Institut des langues latines) de l’université de Greifswald, en Poméranie, près de la mer Baltique, la seconde moitié dans la famille d’une étudiante de cette université, dans la banlieue de Berlin.

Le but du séjour linguistique n’était pas d’améliorer l’allemand de la douzaine de lycéens français qui y participaient, mais de procurer une occasion de conversation française aux étudiants de l’université, soit-disant empêchés de se rendre en France par les capitalistes français réactionnaires. Si l’autre objectif de ce séjour était de me convaincre des bienfaits du système soviétique, ce fut un échec, et le spectacle de Berlin où venait de s’ériger le mur et du pays occupé par des dizaines de divisions de l’armée rouge m’a vacciné pour la vie.

Malgré tout j’ai gardé un bon souvenir (rétrospectif) de l’Allemagne de l’Est. Le directeur du Romanisches Institut, le professeur Nöckler, était probablement un notable du SED (le parti), mais cela ne l’empêchait pas d’être un intellectuel de grande culture et de parler un français suprêmement élégant. Les paysages un peu mélancoliques, couverts de forêts et de lacs, des collines du Mecklembourg et du Brandebourg, plus plat, sont une bonne introduction à la lecture de Kleist et de Theodor Fontane, celui-ci trop méconnu en France. La partie est de Berlin avait hérité des plus beaux musées, notamment le Pergamon Museum, où se retrouvent tous les trésors de l’empire ottoman, Mésopotamie incluse, que les Allemands détournaient pendant que les Français et les Anglais faisaient de même en Grèce et en Égypte. Voici par exemple un morceau du palais omeyade (661-750) de Mshatta, dans l’actuelle Jordanie :

Le retour à Berlin, 46 ans plus tard, ne m’a pas permis de retrouver de souvenirs très précis, mais l’atmosphère est restée la même. Une ville qui a été presque totalement rasée pendant la guerre ne peut se comparer à Paris ou à Rome, mais beaucoup de bâtiments modernes sont beaux ou au moins intéressants, comme la coupole de Reichstag ou le musée juif (où se tient actuellement une belle exposition consacrée à Nelly Sachs).

Il faut lire Berlin chantiers , Essai sur les passés fragiles de Régine Robin, qui mêle, entre autres, une réflexion sur l’incorporation de l’expérience de la RDA au passé collectif allemand et une analyse de la reconstruction de Berlin.

Depuis quelques années souffle à Berlin un vent d’Ostalgie (nostalgie de la RDA), et un DDR Museum s’est ouvert pour en tirer partie, un peu superficiel mais rigolo. Plus sérieux, le musée Checkpoint Charlie consacré à la résistance du peuple est-allemand à la domination soviétique et aux tentatives de franchissement du mur.

Frédéric II voulait imiter Louis XIV et il a construit à Potsdam (à vingt minutes de Berlin par la S-Bahn) le château de Sans-Souci et son parc, qui méritent clairement une visite ; le pavillon de la Maison du Dragon abrite un excellent restaurant.

À une heure de Berlin, par la Deutsche Bundesbahn cette fois, il faut aller voir la région nommée Spreewald (forêt de la Spree), qui ressemble un peu au Marais poitevin, mais plus sauvage et plus mystérieuse, habitée par une population de langue slave proche du polonais et du tchèque, les Wendes (ou Sorabes), qui ont gardé leur langue et leurs traditions depuis plus d’un millénaire qu’ils sont inclus en territoire germanophone. En descendant à la gare de Lübennau, sur la ligne de Cottbus, on peut accéder à plusieurs heures de sentiers de randonnée au milieu des marais, agrémentés d’auberges comme celle de Wotschofska, inaccessible autrement qu’à pied ou en bateau, et où l’on mange des poissons pêchés dans les canaux.

La ville de Berlin elle-même est pleine d’espaces verts, comme si le bois de Boulogne était à la place des Tuileries, et le trajet en S-Bahn de Berlin à Postdam, un peu comme si l’on allait de la place de la Concorde à Meudon, traverse une véritable forêt pendant des kilomètres. D’ailleurs un des problèmes de la municipalité est l’invasion du centre ville par les sangliers, qui connaissent les heures de récréation dans les écoles pour venir mendier de la nourriture auprès des élèves.

Voici le Landwehr Kanal, où fut jeté le corps de Rosa Luxemburg après son assassinat (il y a un monument commémoratif) :

Nous avons dîné sur la Walter Benjamin Platz, bordée des Leibniz-Kolonnaden, mais sans réussir à savoir si Walter Benjamin avait habité dans le quartier, qui serait alors celui d’Enfance berlinoise.

Il faut aussi visiter la Bauhaus Archiv, où se tient actuellement une belle exposition Katachi, terme qui désigne, si j’ai bien compris, une esthétique japonaise des objets quotidiens :

Berlin Hauptbahnhof, d’où le volcan islandais nous fit repartir pour Paris, prouve qu’une gare moderne peut être belle et fonctionnelle, et condamne sans appel les auteurs calamiteux de la gare Montparnasse.

Post-scriptum

Dans cet article je déplorais de n’avoir pas pu savoir si Walter Benjamin avait effectivement habité à l’endroit qui est aujourd’hui la Walter Benjamin Platz : en fait ce n’était pas là, mais quand même pas très loin, l’excellent site Berliner Lindenblatt m’a donné la réponse : au 3 de la Carmerstraße, dans le quartier de Charlottenburg. Il ne nous reste plus qu’à y retourner.

Pendant que j’y suis, j’avais oublié de vous recommander la visite du Bröhan-Museum, face au château de Charlottenburg, consacré à l’art nouveau, au Jugendstil et autres créations du premier vingtième siècle (ou de la fin du dix-neuvième).