Blog de Laurent Bloch
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ISSN 2271-3980
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Les événements qui se déroulent jour après jour sous nos yeux à Gaza sont insupportables, et irréparables. Des enfants meurent d’inanition, on parle de plus de 30 000 morts civils mais ce sera sûrement beaucoup plus, ne serait-ce qu’en comptant ceux qui sont enfouis sous les ruines des bâtiments rasés par les bombardements israéliens. Toute possibilité de vie normale à Gaza est abolie pour des années, si tant est que les habitants de ce territoire grand comme un ou deux cantons ruraux français aient jamais pu jouir d’une vie normale, depuis l’exode des Palestiniens chassés par l’armée israélienne en 1948, l’occupation israélienne dirigée par Ariel Sharon en novembre 1956 (de 930 à 1 200 morts palestiniens), une nouvelle occupation israélienne en 1967 (guerre des six jours), l’opération israélienne Plomb durci en 2008 (895 civils tués), l’opération Colonne de nuée en 2012 (71 cicils tués), la guerre de Gaza de 2014 (1483 morts civils selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU), la Marche du retour de 2018-2019 (au moins 235 civils tués, principalement des adolescents sans armes). Si à la veille du 7 octobre 2024 les Israéliens pouvaient avoir le sentiment de vivre en paix, les Palestiniens n’ont jamais pu éprouver ce sentiment, surtout à Gaza, mais aussi en Cisjordanie, où le droit des gens est sans cesse bafoué tant par les colons que par l’armée israélienne.

Quelle que soit l’analyse que l’on fait de l’attaque du Hamas, et s’il a été récemment confirmé (par les agences de l’ONU notamment) que des crimes épouvantables avaient été commis le 7 octobre 2024, il apparaît aussi que les déclarations israéliennes étaient exagérées : parmi les morts décomptés à l’issue de cette journée tragique, beaucoup étaient des Palestiniens, du Hamas ou pas, et un certain nombre avaient été tués par les tirs israéliens. Beaucoup d’exactions alléguées n’ont jamais pu être confirmées. Il est désolant d’avoir à faire ces comptes d’apothicaire, après tout une vie est une vie égale à toutes les autres, mais puisque la propagande des deux camps s’appuie sur les nombres... Un épisode particulièrement dramatique : le 1er mars 2024 un convoi d’aide alimentaire est entouré par une foule littéralement affamée, une bousculade s’ensuit, les militaires israéliens ouvrent le feu sur la foule depuis leurs véhicules blindés, il y aura plus de 110 morts, la plupart par balles.

De toutes les façons et quels que soient les responsabilités et les chiffres retenus, les représailles israéliennes sont totalement disproportionnées, le massacre à grande échelle de populations civiles et l’anéantissement des habitations et des infrastructures civiles d’un territoire peuplé de plus de deux millions d’habitants dans un espace aussi réduit, Israël y a sali son nom de façon sans doute irrémédiable. De plus de huit-cents familles il ne reste aucun survivant, leur nom a été rayé de l’état-civil. Tout cela pour garantir l’impunité d’un premier ministre mafieux et de ses acolytes racistes et colonialistes, de la même étoffe que l’OAS ou le Ku Klux Klan. Il est préférable de laisser aux instances judiciaires internationales le soin de qualifier ces crimes, on peut hésiter entre crimes contre l’humanité et génocide, je ne suis pas juriste et ne me risquerai pas à trancher.

On peut aussi se demander pourquoi la presse française a choisi à l’unanimité de passer sous silence le communiqué du Hamas du 22 janvier 2024. On n’est pas forcé d’éprouver de la sympathie pour le Hamas, une organisation qui a emprunté tous les atours du parti de type léniniste pour les mettre au service d’une idéologie différente, avec la même absence de scrupules et de respect pour la vie humaine, le même mépris pour le peuple qu’il prétend servir et qui maintenant paye au centuple le prix de ses actions [1]. Il n’en reste pas moins que leur communiqué explique la dimension de résistance de leur action et manifeste même une autocritique de certains actes criminels commis par des éléments incontrôlés. Le Hamas n’a pas remporté de victoire, il a infligé à Israël une défaite cinglante et inattendue, l’information de leurs lecteurs aurait demandé que les médias français produisent au moins une analyse du communiqué de l’acteur principal de cet événement capital.

Dans cette situation sinistre il est important que des voix fassent entendre la solidarité avec le peuple de Gaza, et aussi avec les Palestiniens de Cisjordanie, soumis aux agressions de plus en plus violentes des colons et de l’armée israélienne. Surtout des voix juives, merci à Gideon Levy, Shlomo Sand, Edgar Morin, Rony Brauman, Ilan Pappé, Judith Butler, Olivier Lek Lafferrière de l’UJFP, Anne Sinclair. J’y ai joint mon propre texte, même s’il a bien moins d’audience que leurs interventions.

Si nous, les Juifs, ne manifestons pas notre opposition aux actes criminels du gouvernement israélien, de son armée et des colons, notre silence risque d’être interprété comme un accord tacite, un acquiescement aux termes de la loi israélienne du 19 juillet 2018 qui définit l’État d’Israël comme l’État-nation du peuple juif « qui y exerce son droit naturel, culturel, religieux et historique à l’autodétermination. » Aux termes de cette loi discriminatoire la langue arabe a perdu le statut de langue officielle qu’elle avait en Israël, les citoyens non-juifs (principalement palestiniens) de l’État d’Israël sont relégués dans un statut de seconde zone (ce qui était déjà le cas auparavant mais cela s’est aggravé) et a mené Amnesty International à émettre le diagnostic d’apartheid. Et par la même occasion cette loi prétend annexer les citoyens français (ou d’autre nationalité) juifs à Israël, ce qui en ferait des étrangers dans leur propre pays, la France, le seul dont je veuille être citoyen : c’est bien sûr sans commune mesure avec le sort des Palestiniens, mais il n’y a aucune raison de l’accepter, et l’histoire nous apprend que ces affaires de nationalité peuvent avoir des conséquences, cf. le livre de Claire Zalc Dénaturalisés. Les retraits de nationalité sous Vichy..

Je suis en train de lire le livre de Jean-Pierre Filiu Comment la Palestine fut perdue. Et pourquoi Israël n’a pas gagné. : c’est une excellente synthèse, dont je vous conseille la lecture, bien qu’elle soit assez démoralisante. L’auteur nous rappelle, références à l’appui, que les pratiques colonialistes et d’apartheid de l’État d’Israël ne datent pas d’hier, mais qu’elles ont été permanentes depuis 1948, avec plus ou moins d’intensité, plus ou moins d’hypocrisie aussi. On y voit aussi comment toutes les tentatives de solution négociée qui reconnaîtraient aux Palestiniens des droits nationaux, même réduits à la portion congrue, ont été soigneusement sabotées, de Camp David à Oslo en passant par Taba.

Je ne puis conclure cet article, que j’ai eu beaucoup de mal à écrire, sans mentionner la faillite morale des États occidentaux et de leurs médias, qui accordent un crédit immérité aux versions israéliennes de ces événements (même si les déclarations récentes du Président Macron sont plus équilibrées que celles du mois d’octobre 2023). Le refrain qui assimile à tout instant l’antisionisme à l’antisémitisme est devenu un mensonge officiel (même si bien évidemment des antisémites peuvent se dissimuler derrière le paravent d’un soi-disant anti-sionisme).