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Signature électronique, réponses aux réponses
par Nat Makarévitch et Laurent Bloch
Article mis en ligne le 24 mars 2007
dernière modification le 4 septembre 2007

par Laurent Bloch

cf. sur ce même site la suite de la suite de ce feuilleton.

Un article précédent par lequel nous avions exposé les perturbations
provoquées par l’abus de l’anonymat sur Internet, principalement
le courrier électronique illégitime (spam), la violation du droit
d’auteur à l’occasion d’échanges de fichiers musicaux et vidéaux par
les procédés poste à poste (peer to peer) et l’ambiguïté cognitive
attachée à certains articles de Wikipédia, a suscité réactions et
questions auxquelles nous allons nous efforcer de répondre ici.

Nous avons essuyé les protestations tant des partisans de la
répression des échanges de fichiers musicaux que des adeptes de ces
mêmes échanges, ainsi que des partisans comme des adversaires de
Wikipédia, ce qui nous donne à penser que nous n’avions peut-être pas
été assez clairs, mais aussi que nous n’avions pas toujours été lus
très attentivement, puisque les uns et les autres nous ont prêté des
points de vue que nous n’avions pas formulés.

La nécessité de l’anonymat pour les sujets d’une dictature ou les
victimes de toute autre forme d’arbitraire a souvent été évoquée :
ce que nous proposons la préserve.

Nous avions également, comme certains de nos correspondants, tenu
compte de la distinction entre anonymat et usage de pseudonyme, ou
non-publication du nom d’auteur : toute la différence réside dans
une notion fondamentale, la responsabilité individuelle. Lorsqu’un
journal publie un article non signé, cet article n’est pas pour autant
dépourvu de responsable ; si quelqu’un se juge diffamé, la
justice saura à qui s’adresser, par exemple au rédacteur en chef.
Les noms des referees qui évaluent les publications scientifiques
ne sont pas publiés, mais les comités de lecture les connaissent, et
savent sélectionner les meilleurs et éliminer les dilettantes.
Il n’y a là rien qui s’apparente de près ou de loin à l’anonymat des
auteurs wikipédiens qui choisissent d’écrire « sous IP ».

La décision de ne pas publier son nom peut bien sûr tenir à d’autres
causes légitimes : timidité, souci de séparer sphère publique et vie
privée ou professionnelle, crainte de mesures de rétorsion. Cela aussi
doit être distingué de l’irresponsabilité recherchée par l’anonymat.

Dans son récit de la censure dont il avait été
victime sur Wikipédia, Nat Makarévitch ne se plaignait pas de ne pas
avoir pu exposer un point de vue : les points de vue, aussi
respectables soient-ils, n’ont pas leur place dans une encyclopédie.
Nat avait exposé des faits, dûment étayés de sources et de preuves,
dont les administrateurs anonymes avaient purement et simplement rayé
l’existence en les qualifiant abusivement de « points de vue », sans
recours possible puisqu’ils étaient anonymes.

Les articles scientifiques, les encyclopédies classiques contiennent,
nous dit-on, leur lot d’erreurs : certes, mais nous savons à qui
attribuer ces erreurs, le nom de tel éditeur ou de tel directeur
de publication pourra nous inspirer plus ou moins de confiance. Les
habitués de la Britannica savent que la transition du management
britannique à un management américain a profondément altéré son
caractère : on peut le savoir, en tirer des conséquences.

Il n’y a pas, dans ces affaires de publication, une multitude de
systèmes viables, mais deux :

 validation par les pairs (peer review) : elle prévaut dans le
domaine scientifique, c’est un système d’autorité : les chercheurs
qui ont fait leurs preuves accèdent à des positions de plus en plus
éminentes dans les comités de lecture, parce que leurs collègues
font confiance à leur jugement ; ce système obéit à des mécanismes
de régulation complexes, il a sans doute des défauts mais il est
connu, documenté et reconnu par la communauté scientifique ;

 responsabilité individuelle : au sein de la société civile la
publication d’articles et d’ouvrages est régulée d’une part par le
marché de l’édition, d’autre part par les lois civiles et pénales ;
l’Internet bouleverse les conditions d’accès au marché de la
publication, mais n’abolit pas les lois, la diffamation reste la
diffamation, le plagiat reste le plagiat, et celui qui les commet
expose sa responsabilité individuelle. Et c’est heureux.

Les systèmes intermédiaires proposés ici ou là, comme l’apposition
d’une étiquette de qualité sur certains articles, ou l’attribution
d’une note de confiance par le vote de personnalités reconnues
(comment ?) pour leur compétence, nous semblent voués à l’échec,
parce qu’ils sont dans une zone floue entre les deux systèmes décrits
ci-dessus. Si on veut un système de validation par les pairs, il faut
le faire sérieusement, pas à moitié, et alors le mieux est de rejoindre
celui qui existe en devenant un véritable scientifique. Celui qui ne
prend pas cette voie doit, comme tout auteur depuis la nuit des temps,
gagner la confiance de ses lecteurs par la seule force de sa plume,
en engageant sa responsabilité et en espérant que son nom finisse
par conférer à ses textes un certain crédit auprès du lecteur.

Wikipédia refuse explicitement la voie de la validation par les pairs
et de l’évaluation scientifique de type universitaire, ce qui est une
position parfaitement légitime : il lui reste, à notre avis, la
seconde voie, celle de la responsabilité personnelle des auteurs, sauf
à rencontrer des difficultés de plus en plus grandes, qui sont déjà
manifestes pour des articles sensibles du point de vue politique ou
idéologique.

Le contenu d’une encyclopédie a à voir, c’est inévitable, avec la
vérité, dont on ne saurait éluder qu’elle-même a à voir avec des
faits. Quoique l’on en pense, la vérité ne se proclame pas à l’issue
d’un vote à main levée en assemblée générale, elle est le fruit (sans
cesse remis en cause) d’une élaboration progressive par des gens qui y
travaillent. Si au bout du compte nous acceptons comme vraie la
proposition qui dit par exemple que l’entropie d’un système isolé ne
peut qu’augmenter ou rester constante, malgré les difficultés de la
vérification empirique, c’est parce que nous avons acquis une certaine
confiance dans le travail de Carnot, Clausius et Boltzmann, sans
doute au prix d’un certain travail de notre part, mais aussi par
l’intermédiaire de nos professeurs de physique : la confiance
s’accorde, pour de bonnes raisons, à des humains précis et nommés.

Les exemples historiques de tentatives pour abolir le sujet et conférer
le monopole de la confiance à une entité collective, telle que le parti,
le peuple ou les masses, devant laquelle l’individu devait s’effacer, n’ont
pas donné de bons résultats.

Wikipédia est une source extraordinaire de connaissances et de vérité.
Elle est le résultat du travail bénévole et néanmoins inlassable de
nombreux auteurs qui rivalisent de science et de modestie. Il serait
regrettable qu’un tel trésor soit gâché par une infime minorité de textes
douteux autorisés par des règles maladroites.

cf. sur ce même site la suite de la suite de ce feuilleton.