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Un livre de Guenter Lewy :
La persécution des Tsiganes par les nazis
(... et par leurs émules français).
Article mis en ligne le 20 avril 2006
dernière modification le 25 mai 2006

par Laurent Bloch

Les livres consacrés à la persécution des Tsiganes sous le régime nazi ne sont pas si fréquents, alors quand j’ai aperçu celui-ci je n’ai pas hésité. Le texte est récent (2000), Guenter Lewy est un universitaire américain, professeur émérite de l’université du Massachusetts à Amherst. Il s’agit d’un travail de synthèse étayé par l’exploration de l’ensemble de la documentation disponible sur ce sujet lugubre. La traduction française souffre des maux de l’édition contemporaine dans notre pays : traduction financée au rabais, pas de relecture, mais c’est quand même lisible avec un peu de bonne volonté. Ce livre rejoindra dans ma bibliothèque celui de Jacques Sigot, instituteur à Montreuil-Bellay (Maine-et-Loire), auteur de Ces barbelés oubliés par l’histoire, monographie émouvante consacrée au camp de concentration installé sur le sol de cette localité française pour détenir, surtout mais pas exclusivement, des Tsiganes, de 1940 à ... 1946 (non ce n’est pas une faute de frappe : 1946 ; on pourra lire à la fin de cet article les précisions que Jacques Sigot a bien voulu apporter, notamment sur le caractère essentiellement français de la persécution en France).

Je ne saurais me lancer dans un article sur ce sujet pour lequel je suis peu qualifié, mais seulement relever quelques faits significatifs.

 D’après les chiffres officiels, l’Allemagne comptait avant l’Anschluß 26 000 Tsiganes, l’Autriche 11 000, la partie de la Tchécoslovaquie démembrée sous le nom de « protectorat de Bohème-Moravie » 5 000. Ces chiffres sont bien sûr sujets à caution : comme pour les Juifs, les nazis se sont lancés dans des tentatives de définition de « qui est Tsigane » et de recensement, avec un insuccès plus grand et des tergiversations et des incohérences incessantes. Ce qui est certain, c’est que des 5 000 Tsiganes autrichiens déportés dans la ville polonaise occupée de Łodz, seule une infime minorité a survécu. Au moins 85% des 23 000 Tsiganes déportés à Auschwitz y sont morts. Mais ce décompte est très approximatif parce d’autres Tsiganes ont été assassinés ailleurs, sans que les sources permettent de les dénombrer. Pour l’ensemble de l’Europe occupée, les chiffres sont encore plus incertains ; les populations tsiganes les plus importantes étaient en Roumanie, en Hongrie et en URSS ; les estimations des pertes vont de 100 000 à 500 000, mais l’estimation de la population totale elle-même pose des difficultés considérables.
 Une persécution particulièrement cruelle pour une population aussi attachée aux enfants que les Tsiganes fut la stérilisation, au nom de la politique raciale, qui pouvait être infligée même à de jeunes enfants.
 En Allemagne (comme en France d’ailleurs, nous dit J. Sigot), certaines autorités en poste après la chute du nazisme auraient bien aimé maintenir les Tsiganes en détention, et d’ailleurs elles le firent tant que ce fut possible, aussi monstrueux que cela paraisse. Après 1945, les Tsiganes furent encore longtemps soumis à des législations discriminatoires, l’indemnisation des survivants et des victimes de stérilisations fut dérisoire et difficile ou impossible à obtenir. Les génocidaires échappèrent en fait toujours à la justice, les rares procès se terminèrent par des non-lieux, les Tsiganes qui portaient plainte trouvaient souvent leurs anciens tortionnaires dans les rôles de juges, de témoins ou d’experts de la police criminelle. Les Tsiganes furent démunis pour faire reconnaître leur cause.
 Parmi les instruments intellectuels de la politique raciale nazie, on note un Institut de recherche en criminologie biologique, et un Institut de biologie criminelle. À l’heure où l’on établit des pièces d’identité « biométriques », ces appellations doivent donner à réfléchir.
 J’emprunte à Jacques Sigot une citation d’Arthur Koestler relative au camp du Vernet, mais que Montreuil-Bellay ne vient pas démentir : « Le camp était organisé sur le modèle si typique de l’administration française, mélange d’ignominie, de corruption et de laisser-faire. » La zone de rétention administrative de Roissy, décrite par le film La blessure de Nicolas Klotz, le centre de détention provisoire du Palais de Justice de Paris, qui a soulevé le cœur de la commission d’enquête de l’Union européenne, me semblent bien mériter de cette tradition.


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