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Logiciel libre à l'Institut Pasteur



Le logiciel libre dont on parle de plus en plus souvent dans la grande presse est présent sur le campus au moins depuis la création du SIS en 1991. En effet sans peut-être que tout le monde le sache la plupart des logiciels biologiques installés sur nos serveurs tels que Blast, Fasta Phylip ou ClustalW sont des logiciels libres. De façon encore moins visible les logiciels qui assurent l'acheminement du courrier électronique, la localisation dans l'Internet de tel ou tel serveur, le fonctionnement de notre serveur www, le transfert nocturne de GenBank et Embl sur nos systèmes et bien d'autres choses encore sont des logiciels libres.

La notion de logiciel libre, née dans les laboratoires et les universités, s'est répandue depuis l'apparition du système d'exploitation Linux que l'on peut installer sur un PC en lieu et place de Windows (ou à côté de lui si l'on veut pouvoir utiliser les deux). Linux a beaucoup de séductions : on peut se le procurer sans bourse délier et il est une version du système Unix qui fonctionne par exemple sur les serveurs de l'Institut Pasteur11 .

Qu'est-ce qu'un logiciel libre ?

Nous emprunterons la définition à l'Association Française des Utilisateurs de Linux et des Logiciels Libres (AFUL, http://www.aful.org/ ) : « sont considérés comme libres les logiciels disponibles sous forme de code source, librement redistribuables et modifiables. ... Un logiciel libre n'est pas forcément gratuit. L'ambiguïté provient de l'expression free software, puisqu'en anglais free signifie à la fois libre et gratuit. »

Un logiciel libre n'est pas non plus forcément dans le domaine public : l'auteur peut le distribuer librement, gratuitement même, mais accompagné d'une licence et d'une notice de copyright qui manifestent sa propriété intellectuelle et en limitent l'usage. Parmi les clauses fréquentes, notons l'obligation de reproduire la licence et le copyright dans toute redistribution, des limitations à l'usage commercial, à l'incorporation à un logiciel non-libre, etc.

Il convient de noter que pour les puristes ces dernières restrictions privent le logiciel qui en est affligé de la qualité « libre », verdict qui frapperait par exemple Phylip et Clustalw et taxerait par là-même de laxisme la définition de l'AFUL. Nous nous sentons libre de ne pas adhérer à cette vision.

Qui écrit du logiciel libre ?

L'Institut Pasteur par exemple : http://bioweb.pasteur.fr/seqanal/soft-pasteur.html .

Sachant que la création d'un logiciel de quelque importance représente des années de travail, on se demande d'où peut venir le logiciel libre et de quoi vivent ses auteurs. En effet, au-delà des nuances mentionnées ci-dessus, l'aspect le plus clair de la chose est qu'on ne paye pas ou fort peu. Par exemple le système d'exploitation de l'ordinateur sur lequel cet article est composé (Linux), le logiciel de composition (LATEX), l'éditeur de texte (Xemacs) et le formateur PostScript (Ghostscript) sont des logiciels libres qui ont coûté éventuellement quelques dizaines de francs d'achat du CD-ROM de distribution ou quelques taxes téléphoniques pour le télé-chargement par modem.

Le cas de Ghostscript est intéressant : ce logiciel est l'oeuvre de M. L. Peter Deutsch et la propriété de l'entreprise Aladdin Enterprises (voir http://www.cs.wisc.edu/~ghost/aladdin/ ). Il est disponible sous trois licences différentes, deux libres et une commerciale. Seule la troisième autorise la distribution commerciale et procure maintenance et garantie. En fait la maison Aladdin vit de la vente de traducteurs PostScript incorporés à des imprimantes et autres systèmes, c'est à dire qu'elle a quelques dizaines de clients qui lui achètent des centaines de milliers d'exemplaires chacun, et le marché de la vente à l'unité coûte cher et rapporte peu, d'où son choix de permettre la distribution libre de son logiciel pour les autres usages, ce qui accroît sa réputation.

De fait la majorité des logiciels libres sont l'oeuvre de chercheurs et d'universitaires qui les ont écrits dans le cadre de leur activité normale, dans une certaine mesure en tout cas. L'idée peut alors être émise avec quelque fondement que ce logiciel est financé par les contribuables du pays d'origine et par les autres sources de financement de la recherche, ce qui pose d'intéressantes questions de redistribution.

Le cas du logiciel Blast est assez habituel : les auteurs en sont ceux de [AGM+90]. Le copyright précise qu'il est dans le domaine public, ce qui est généreux mais imprudent, un tiers pouvant s'en approprier le mérite. Chacun peut utiliser le logiciel, en prendre les sources et les modifier (d'autres équipes ont ainsi réalisé leur propre version), les vendre (il y a des sociétés commerciales qui vendent fort cher un ensemble de logiciels tels que Blast dont la plupart sont disponibles librement par d'autres canaux).

Vous trouverez de nombreux logiciels libres sur le serveur ftp de l'Institut Pasteur ftp.pasteur.fr, notamment dans ftp://ftp.pasteur.fr/pub/GenSoft/ pour les logiciels biologiques. Voir aussi http://bioweb.pasteur.fr/ . Outre les logiciels libres créés à l'Institut Pasteur (http://bioweb.pasteur.fr/seqanal/soft-pasteur.html ), Stéphane Bortzmeyer y adapte des logiciels libres pour en faciliter l'usage : http://www.pasteur.fr/units/sis/debian/biology.html .

Économie du logiciel

Le comportement de ceux qui achètent même cher des choses disponibles gratuitement n'est pas forcément aussi aberrant qu'il semble au premier abord : récupérer Blast sur le réseau, l'installer, le mettre en oeuvre, suivre la sortie des nouvelles versions, s'assurer de son fonctionnement correct et régulier, répondre aux questions des utilisateurs (qui ont parfois le réflexe de dire « ça ne marche pas » alors que le vrai diagnostic serait « je devrais lire le mode d'emploi ») demande un travail non négligeable, le SIS est bien placé pour le savoir, et payer des gens pour le faire à votre place est un choix qui peut être raisonnable.

Le développement d'un logiciel consistant demande plusieurs années. S'il faut n mois pour écrire un programme destiné à traiter un problème pour mon usage personnel, l'adapter à une utilisation plus générale par des gens que je ne connais pas nécessite des modifications et l'écriture d'une documentation dont on estime en général l'ordre de grandeur du coût à 10n mois. Si maintenant je veux vendre ce logiciel dans les grandes surfaces, ce qui va coûter le plus cher c'est le marketing, la publicité, la constitution du réseau de distribution, répondre au téléphone aux clients insatisfaits. Cela coûte (pour commencer) 100n mois de travail. Bref le travail de conception initial représente 1% du travail total, le travail technique au sens large 10%. Clairement ce n'est pas là que va porter l'effort principal de l'éditeur commercial.

Incidemment une conséquence de cet état de faits (dont ceux qui n'ont jamais écrit de logiciel ont peu conscience) est que la commercialisation d'un logiciel ne présente d'intérêt que si le marché espéré est considérable soit par le nombre d'unités vendues (cas de Microsoft Word) soit par le prix astronomique (cas de certains logiciels de modélisation moléculaire). Sinon il vaut mieux soit le diffuser comme logiciel libre, soit en céder les droits commerciaux à une entreprise dont c'est le métier, ou les deux puisque ce n'est pas incompatible. Ces faits élucident aussi le paradoxe apparent de l'existence simultanée de versions libres et commerciales du même logiciel : l'objet technique n'est pas la partie la plus coûteuse du logiciel vénal.

Intérêt du logiciel libre

Dès lors que l'on a choisi d'acquérir et de développer des compétences locales (choix inéluctable pour un institut de recherche de la taille du nôtre), l'intérêt du logiciel libre est considérable, surtout pour une discipline comme la biologie où les logiciels les plus nombreux et les plus en pointe sont dans cette catégorie12 . L'avantage n'est pas seulement économique, installer un logiciel commercial demande une négociation avec son fournisseur et des démarches administratives qui peuvent être lourdes, on ne peut les entreprendre juste pour un essai. Un logiciel libre se charge par le réseau, on l'essaie, s'il convient on prévient tout le monde sinon on passe au suivant, cette souplesse est précieuse dans un contexte de recherche ou d'enseignement.

Le logiciel libre est-il de qualité comparable au logiciel commercial ? Il n'y a pas de réponse générale, il y a du bon et du mauvais des deux côtés, mais dans les domaines « sérieux » la qualité du logiciel libre est souvent supérieure.

Cette situation assez favorable aux organismes de recherche est-elle durable ? Un changement pourrait venir d'une modification du régime de protection. Actuellement le logiciel est placé sous le régime de la propriété intellectuelle (copyright). Une évolution se dessine aux États-Unis pour y substituer le régime de propriété industrielle (brevet), plus complexe et plus coûteux, qui permettrait d'interdire, outre le plagiat, le développement de logiciels aux fonctions analogues de celles couvertes par un brevet, ce qui permettrait la fermeture de domaines entiers au profit des entreprises détentrices de brevets. Les États-Unis exercent actuellement des pressions sur l'Union Européenne pour qu'elle aligne sa pratique réglementaire sur la leur, mais aux États-Unis une opposition s'organise contre ce projet. Nul doute que cette évolution aura des conséquences importantes pour le monde du logiciel.



Laurent Bloch



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