Avec quel logiciel écrire votre thèse ?
Parfois nous recevons au SIS la visite
d'un chercheur éploré : pour une raison mystérieuse
le texte de sa thèse dont il a déjà tapé 150 pages
est soudain devenu illisible. Il avait bien une
copie de secours, mais dans l'affolement de manoeuvres
de récupération désespérées elle a subi le sort de
l'original. Et plus d'une fois il a fallu tout retaper : pleurer
fut alors légitime.
Qu'était-il arrivé ? L'auteur malheureux n'avait
commis aucune fausse manoeuvre, le système du Mac
était sain. Simplement en créant un gros document avec
sans doute des insertions de figures et d'autres éléments
graphiques il avait atteint une limite interne de Word,
ce qui avait irrémédiablement perturbé la cohérence du
document.
Comme le format de ces documents n'est pas
publié et qu'il change à chaque version du logiciel il n'y avait
rien à faire. Simplement, la répétition de telles mésaventures
suggère l'intérêt de la question du choix du logiciel
pour écrire ses documents de travail, et, le logiciel choisi, de
la méthode à adopter pour obtenir, sans désastre et en un
délai raisonnable, le document voulu avec une présentation
décente.
Les logiciels disponibles
Le présent article ne constitue pas un examen
systématique et approfondi de tous les logiciels
envisageables pour rédiger des thèses ou des articles
scientifiques, un gros volume n'y suffirait pas. Il se
propose seulement d'attirer l'attention du lecteur sur
l'existence de plusieurs logiciels utilisables à l'Institut
Pasteur et sur la possibilité donc d'un choix, puis de
suggérer quelques critères de choix, enfin de donner
pour la réalisation du document quelques conseils
indépendants du logiciel choisi.
Les unités de l'Institut Pasteur peuvent acquérir
dans des conditions tarifaires relativement favorables les
droits d'usage des logiciels Microsoft Word pour
Windows ou Macintosh, AppleWorks pour Macintosh,
Adobe FrameMaker pour Macintosh, Windows
ou Unix. LATEX est disponible gratuitement pour
les systèmes Unix, les Macintosh et Windows. L'auteur
de ces lignes estime que tous ces logiciels sont utilisables.
Les critères de choix
Les thèses et articles scientifiques ont des exigences
de présentation particulières qui influent le choix du logiciel :
ces documents comportent des figures, des tableaux, des notes
en bas de page ou en fin de document, des références
et des annexes bibliographiques, des formules
mathématiques ou chimiques, des index, des tables des matières,
de multiples parties, chapitres et sections éventuellement contenus
dans des fichiers distincts. Le choix d'un logiciel doit tenir
compte de l'aptitude à produire ces éléments.
Les documents rédigés par les chercheurs font l'objet
d'échanges par courrier électronique ainsi que de publication
sur le WWW. Ils doivent donc être faciles à transporter, à
relire sur un autre ordinateur et à traduire au format HTML.
Ils doivent incorporer des documents d'origines diverses que le
logiciel de réalisation doit pouvoir importer.
Le prix est à prendre en compte d'un point de vue
économique et aussi parce qu'il est plus facile de demander à un
correspondant désireux de relire votre document d'installer
un logiciel s'il est gratuit que s'il coûte cher. La taille des documents
n'est pas indifférente.
Facile ou efficace
La facilité d'apprentissage et d'usage est un critère.
L'écriture d'une thèse est un travail de longue haleine, il convient
de prendre en considération le temps d'apprentissage moyen
sur toute la période : certains logiciels permettent d'obtenir
immédiatement des résultats approximatifs et font perdre beaucoup
de temps ensuite pour composer des documents gros et complexes,
d'autres nécessitent un apprentissage initial important qui
permet ensuite l'obtention commode de meilleurs résultats.
Le problème de l'apprentissage est celui de
l'automatisation : la production automatique d'une mise
en page régulière, d'une table des matières, d'un index
demande une formulation qui s'apparente à la programmation
et ce n'est pas facile, mais une fois que c'est fait le temps
gagné est considérable. De plus, la régularité des éléments
de texte produits automatiquement permet leur traduction
ultérieure, par exemple en HTML, alors que les
éléments produits « à la main » directement avec les menus
déroulants d'un logiciel wysiwyg9
seront dépourvus des balises10
qui permettraient au logiciel de traduction de structurer le
document selon le voeu de l'auteur.
Nous pourrions résumer
la distinction entre approche wysiwyg et approche
programmatique par un aphorisme de Marc Baudoin : dans
le premier cas le logiciel « voit » le document, dans le
second il le « comprend ». Comprendre est plus difficile mais
plus puissant.
L'esthétique ne doit pas être négligée, une mise en page
laide dessert le propos du texte. En fait l'habitude que nous
avons de la lecture et de l'écriture nous masque l'extrême
complexité du document imprimé. Feuilleter quelques manuels
élémentaires de typographie comme ceux dont le lecteur trouvera
les références à la fin de cet article ne sera sûrement pas du temps
perdu. Depuis l'avènement du traitement de texte nous
sommes tous devenus des typographes amateurs dramatiquement
dépourvus de compétence, et il n'y a pas de honte à combler
au moins nos principales lacunes.
On notera que les conventions
typographiques sont culturelles et qu'elles diffèrent pour
composer des textes en français, en anglais ou
dans une autre langue. Le manuel [Bau97]
indique les principales différences à prendre en considération.
Le manuel [Imp90] mentionne en outre les différences propres à la
mise en page.
Examen des espèces
Microsoft Word
Ce logiciel est le plus connu et beaucoup pensent que
son emploi est inévitable pour pouvoir communiquer avec le
reste du monde. En fait plusieurs autres logiciels sont capables
de relire un document composé avec Word, qui lui-même
est capable de sauvegarder un document en format texte simple
ou, en conservant les mises en forme, au format RTF plus propice
aux échanges et qui offre l'avantage important d'être immune aux
virus macros.
Même si Word est loin d'être notre logiciel préféré,
il convient de dire qu'il comporte les principales fonctions
nécessaires à la composition d'une thèse, mais qu'elles sont trop
ignorées des utilisateurs. Le mode plan et la structuration en
document-maître et sous-documents permet d'éviter de tout
avoir dans un énorme document unique, source de catastrophes.
Les notes en bas de page, les tables des matières, les index
peuvent être traités correctement. Les feuilles de style de
paragraphes et de caractères permettent une présentation
systématique. Seulement Word n'invite pas vraiment à
utiliser ces possibilités.
On peut taper sa thèse avec Word
mais pour cela il faut bien connaître le logiciel, ce qui est
rarement le cas. Il faut dire qu'en tant qu'objet de connaissance
Word est rebutant, et qu'il est conçu pour engendrer
l'illusion que l'on peut s'en servir sans lire la documentation,
ce qui est faux.
Le principal inconvénient de Word, c'est la
politique de son éditeur : versions successives de plus en plus
encombrantes et incompatibles entre elles qui imposent
pratiquement leur achat systématique, ce qui a un coût
financier mais aussi en temps perdu à réapprendre, en
feuilles de style à refaire, etc. Comme les formats de fichier
changent avec les versions, si la secrétaire de votre unité
passe à une nouvelle version vous êtes, en pratique, condamné
à faire de même. Bien sûr il est toujours possible de sauvegarder
un document au format d'une version précédente, mais le
logiciel en dissuade et émet des messages équivoques
qui mènent finalement au format récent et incompatible.
L'Institut Pasteur bénéficie de tarifs préférentiels
pour ce logiciel, qui est compatible avec EndNote[Nil99].
Nous n'avons jamais vu de beau document produit par
Word mais cela existe peut-être.
AppleWorks
AppleWorks est un logiciel de la catégorie
de Microsoft Office avec traitement de texte, tableur,
outils de dessin et de création de transparents ou diapositives
[99].Tant qu'à utiliser un logiciel de ce type,
celui-ci est plus sobre, moins cher, moins lourd, en un
mot il mérite un essai d'autant plus qu'il est capable de
relire les documents Word.
L'Institut Pasteur bénéficie de tarifs préférentiels
pour ce logiciel, qui est compatible avec EndNote.
StarOffice
Ce logiciel encore peu connu est une imitation
aussi fidèle que possible (techniquement et légalement)
de Microsoft Office, avec l'avantage supplémentaire
d'être disponible sous Linux et Solaris. Ainsi si vous
convertissez votre PC de Windows à Linux
vous pourrez relire vos documents Word ainsi
que les pièces jointes sous ce format dont vous accablent
de nombreux correspondants. Plus d'information ici :
http://www.stardivision.com/office/body.html
.
Le SIS a commandé la licence de StarOffice
pour tout le campus, lorsque nous aurons reçu le CD-ROM
il sera à la disposition des utilisateurs. La version 5.0
semble bien améliorée par rapport à la précédente.
Adobe FrameMaker
Voici un vrai logiciel de composition de
documents que des imprimeurs professionnels utilisent
pour de vrais livres. C'est dire qu'avec lui vous ne risquez
pas de manquer de la fonction dont vous avez besoin.
Il comporte notamment d'excellents outils de dessin,
alors que ceux de Word sont pour le moins
limités. Les numéros 5 à 11 du B6 ont été composés
avec lui et faire la même chose avec un simple logiciel
de traitement de texte aurait été très pénible.
Tout dans FrameMaker[Ado99] est conçu
pour réutiliser systématiquement des mises en
forme régulières, que ce soit des niveaux de titre
ou des maquettes de page. Pour reprendre la
distinction ci-dessus, c'est un logiciel wysiwyg
mais qui se prête à une utilisation programmatique.
Les documents produits
sont de petite taille et parfaitement compatibles
entre Unix, Macintosh et Windows. Il est
possible de composer des formules mathématiques
bien plus satisfaisantes qu'avec un traitement de texte.
Le logiciel peut créer des pages HTML à partir
du document, mais une intervention manuelle peut
être utile.
L'apprentissage de FrameMaker est
un peu laborieux mais rentable. Il y a un expert local
(Daniel Azuelos). Une fois que l'on a acquis un peu de
maîtrise c'est d'assez loin de tous les logiciels examinés
ici celui qui permet de travailler le plus vite (à notre
avis). Un essai sur central ne coûte rien : ouvrir
une fenêtre X, taper imaker &, cliquer sur
« Nouveau », puis sur « Portrait » puis sur « Aide »,
se mettre en contact avec Daniel (dan@pasteur.fr).
L'Institut Pasteur bénéficie de
tarifs préférentiels pour ce logiciel, qui
est compatible avec EndNote.
LATEX
TeX est un logiciel de composition
de documents créé par Donald Knuth [Knu84]
et LATEX est un système complémentaire
destiné à en faciliter l'usage.
Avec LATEX (qui a servi à composer
le texte que vous avez sous les yeux) nous pénétrons dans un
autre monde : au lieu d'avoir affaire à un logiciel qui
présente à l'écran une image plus ou moins exacte de ce
qui s'imprimera et qui nous invite à modifier à la souris
ce qui ne convient pas, nous écrivons notre texte avec
un éditeur comme Emacs en le truffant de commandes
de formatage ou balises, puis nous soumettons le fichier
ainsi créé à un traducteur LATEX qui produira
un fichier imprimable. Par exemple la fin de l'alinéa
précédent, le titre de section et le début de celui-ci
s'écrivent ainsi :
L'Institut Pasteur bénéficie de tarifs
préférentiels pour ce logiciel, qui est
compatible avec \emph{EndNote}.
\subsubsection*{{\LaTeX}}
{\TeX} est un logiciel de composition
de documents créé par Donald Knuth
et {\LaTeX} est un système...
Le début du document ressemble à ceci :
\documentclass[a4paper,10pt,twoside]{article}
\usepackage{graphicx}
\usepackage{multicol}
\usepackage{bibunits}
\usepackage{french}
\usepackage{url}
Vous pourrez sans doute deviner qu'ainsi
nous demandons à LATEX de composer notre
article pour du papier au format A4 en corps 10
avec des pages recto--verso. Nous utiliserons des
extensions (packages) qui permettent
d'inclure des graphiques, d'avoir plusieurs colonnes
de texte par page, les références bibliographiques
à la fin de chaque article plutôt qu'à la fin du
volume, de respecter les conventions de la typographie
française et d'afficher convenablement les URL's.
Bref, toutes les options qu'avec les logiciels
évoqués plus haut on sélectionne d'un coup de souris
sont ici mentionnées par l'écriture d'une commande
insérée dans le texte, généralement à l'endroit
où elle doit faire effet. De ce fait, au lieu de deviner
la façon de déclencher une mise en forme en déroulant
les menus et en cliquant sur les entrées prometteuses,
il faut l'avoir apprise dans un livre.
C'est toute la
difficulté de commencer à travailler avec LATEX, il
faut commencer par apprendre un certain nombre de choses
avant de s'en servir. Moyennant quoi, si l'on veut de
bons résultats et si on fait le bilan au bout d'un an,
la somme de choses qu'il aura fallu apprendre avec
LATEX ou avec FrameMaker sera très
comparable. L'acquisition de ces connaissances n'est
pas une épreuve gratuite, elle correspond peu ou prou
à la compétence typographique minimum nécessaire
pour produire un texte lisible.
S'il rend le début d'apprentissage pénible,
le système de commandes en ligne de LATEX a des
avantages. Le fichier source de votre document contient du
texte simple que vous pouvez éditer sur un Minitel
de chez votre grand-mère. Les connaissances
acquises ont vocation à être matérialisées dans des
macro-instructions, c'est à dire des séquences
de commandes stockées dans un fichier et que vous
pourrez réutiliser, alors que se remémorer une
séquence de clics de souris est difficile. Une belle
collection de macro-instructions mérite le titre
d'extension, que l'utilisateur charge s'il en a
besoin. Certaines extensions sont des styles
destinés à modifier la présentation du document,
par exemple pour respecter les conventions typographiques
d'une langue ou d'une revue.
LATEX a un avantage qui, il faut bien
le dire, peut devenir un inconvénient : concevoir
des macro-instructions est un peu programmer, se
piquer au plaisir de ce jeu risque de retarder la soutenance.
Il existe une vaste communauté d'adeptes
de LATEX qui créent des extensions, des
styles et d'autres outils et les mettent gracieusement
à la disposition du public pour
le bienfait de l'humanité, à l'exemple de Donald Knuth.
Citons, parmi beaucoup, Bernard Gaulle, auteur du
style french [Gau99], Christophe Pythoud, auteur d'un
dictionnaire français [Pyt99] utilisé pour la vérification
orthographique, Marie-Paule Kluth, auteur d'une
FAQ [Klu99] où celui qui écrit ces lignes a trouvé réponse à
la plupart des nombreuses questions qui se sont
posées à lui au fil de l'usage de LATEX et Yannis
Haralambous, infatigable auteur de polices, de styles
et de moteur TeX permettant l'usage des langues
et des systèmes d'écriture les plus variés.
Pour ajouter des figures à un document LATEX
on peut inclure du PostScript encapsulé. Le logiciel Xfig
permet de créer des dessins et de les sauvegarder dans ce
format. Il y a un expert LATEX à l'Institut Pasteur
(Marc Baudoin).
Bibliographie
Tous les logiciels wysiwyg évoqués ici
peuvent exploiter une base de références EndNote.
Avec LATEX le plus efficace est d'utiliser le logiciel
BibTeX pour constituer la base de références.
La philosophie est cohérente avec celle de LATEX,
la base est en texte ASCII avec des commandes.
Traduction HTML
Tous les logiciels wysiwyg évoqués ici
peuvent sauvegarder un document en HTML. Plusieurs
outils traduisent du LATEX en HTML, comme
LATEX2HTML [Dra99] ou HeVeA [Mar99].
On gardera néanmoins à l'esprit que tous ces logiciels
produisent des pages HTML qui demandent une
mise au point plus ou moins manuelle parce que l'éventail
de mises en forme possibles sur papier n'est pas le
même que sur le WWW et qu'il n'y a donc pas
de traduction mot à mot possible.
Conclusion
Tous les logiciels évoqués dans cet article vous
permettront de rédiger votre thèse à une condition : que
vous preniez la peine de bien les apprendre, précaution
généralement négligée en vertu de l'adage micro--informatique
qui veut qu'un bon logiciel s'utilise sans lire la documentation
et auquel nous opposerons l'injonction unixienne RTFM
(Read the f...ing manual). Il vous est maintenant loisible
de choisir. En ce qui nous concerne nous hésiterions
entre FrameMaker et LATEX.
Laurent Bloch
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