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Premières observations à l’université
Article mis en ligne le 1er août 2008
dernière modification le 21 septembre 2021

par Laurent Bloch
D’autres remarques sur la vie à l’université :
L’ordre social universitaire,
le contraste lors de mon passage de RSSI à DSI,
et un plaidoyer pour que l’informatique soit prise au sérieux.

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Aujourd’hui j’entame mon cinquième mois à l’Université Paris Dauphine. Cette université a reçu, avec le statut de « grand établissement », un privilège considérable qu’elle partage avec les seules Universités de technologie de Compiègne, Troyes et Belfort : elle a le droit de choisir ses étudiants, comme les grandes écoles ou les IUT, bref comme les autres institutions d’enseignement supérieur qui fonctionnent à peu près dans ce pays. Ce qui lui donne des étudiants qui savent lire, écrire et compter et même quelques autres choses : ce n’est pas rien. Du coup ils réussissent leurs examens et trouvent facilement du travail. Et contrairement aux idées reçues ils ne sont pas tous natifs du 16ème arrondissement, 25% sont étrangers, beaucoup viennent de la banlieue parisienne.

Tout n’est pas pour autant facile et parfait à Dauphine : la moindre décision de quelque conséquence doit attendre (longuement) le nil obstat de la bureaucratie ministérielle, la chape de plomb des marchés publics entrave chaque projet.

C’est dans le cours de ces réflexions que je suis tombé sur un article de Michel Volle qui racontait l’évolution du système français de télécommunications, ce qui n’est pas sans points communs avec la question de l’université. Jusqu’à la fin des années 1960 la Direction générale des postes et télécommunications (PTT), ancêtre de France Telecom, était sous la tutelle de la direction du Budget, soumise aux Code des marchés publics et au règlement de la Comptabilité publique ; le résultat de tous ces beaux réglements était une vision purement comptable, qui voyait le fonctionnement du téléphone comme une simple charge sans en percevoir l’effet de levier, et était donc hermétique à toute idée d’investissement ; résultat, il fallait quatre ans pour avoir le téléphone en payant deux ans d’abonnement d’avance, il n’y avait que quatre millions de lignes, la France avait quarante ans de retard et était, de ce fait, menacée de devenir un pays sous-développé. Un article d’Élie Cohen (et un autre) retracent les grandes étapes de cette histoire. De 1969 à 1974, l’État a lancé un plan de rattrapage, qui permettra à la France de passer du sous-développement de 1969 à une position de premier plan dès 1980. Un des facteurs de la réussite fut, en 1974 avec l’arrivée de Giscard d’Estaing à la présidence de la République, de faire sauter le verrou de la direction du budget en autorisant l’endettement nécessaire à l’investissement.

En lisant cela j’ai eu une révélation : l’Université française est aujourd’hui dans la situation du téléphone de 1969 : pénurie dramatique d’investissement, gestion par les charges, ankylose bureaucratique. Quelles que soient les volontés locales, elles doivent s’épuiser à contourner une administration dont Courteline, qui ignorait ISO 9000, n’aurait même pas pu rêver. Il n’y a qu’à voir l’état des locaux pour savoir tout de suite que les discours sur le programme de Lisbonne et la société de la connaissance ne sont que bavardage pour amuser la galerie.

Comment sortir de là ? Les solutions sont connues, mais demanderaient un certain courage, donc elles ne seront pas adoptées. Faire du baccalauréat un diplôme de fin d’études secondaires. Autoriser les universités à recruter les étudiants comme
elles l’entendent, c’est-à-dire à les sélectionner. Supprimer les diplômes nationaux et encourager la diversité des cursus et des diplômes, ce qui élargirait l’accès à l’enseignement supérieur sans brader les formations. Soustraire l’université et la recherche au Code des marchés publics et à la comptabilité publique, ce qui dégagerait une augmentation instantanée et gratuite de 30% de leurs ressources (pourquoi, comment ?).

Comme l’écrit Philippe Raynaud dans Commentaire : « La démocratisation, souhaitable, de l’enseignement supérieur appelle une diversification de ses formations, qui est, du reste, parfaitement visible dans le secteur sélectif... Le choix démagogique de la non-sélection est ainsi le plus socialement injuste : il [institue] un système dual où les “héritiers” s’orientent sans peine mais qui ferme l’accès aux élites aux plus brillants des “boursiers”, tout en ne laissant aucune chance de progresser aux étudiants les plus faibles. »

Bref, il faudrait favoriser une véritable autonomie des universités, ce que ne fait pas la loi récente. Il faudrait en outre réintégrer dans l’université les établissements publics de recherche (c’est peut-être en train de se faire) ainsi que, sacrilège suprême, les grandes écoles. Et aussi ajouter de l’argent, mais ce n’est pas le principal, et sans les réformes indispensables ce serait immédiatement absorbé par des activités bureaucratiques nuisibles.

Mon ami Jean Matricon me confie néanmoins un commentaire optimiste : si la loi n’instaure pas vraiment l’autonomie, elle accroît les pouvoirs des présidents d’université, ce qui va attirer vers cette fonction de fortes personnalités, par opposition aux tenants du consensus syndicalo-bureaucratique qui avaient plutôt tendance à dominer jusqu’ici.

Si la situation de l’université est si déprimée, me direz-vous, pourquoi y es-tu allé ? Pour citer l’écrivain japonais Sōseki :

« — Qu’on se sente bien ou non, le monde ne dépend que de votre état d’esprit. Quand vous en avez assez du royaume des puces, à quoi sert-il de vous installer dans le royaume des moustiques ?
— Vous n’avez qu’à chercher un pays sans puces ni moustiques.
— S’il en existe un, montrez-le moi. Allez-y, montrez-le moi. »

Justement : c’est parce que l’université a quelques problèmes à résoudre qu’il faut y aller. L’université est une chose irremplaçable, son mauvais état une catastrophe, et si l’on peut faire quelque-chose, un tant soit peu, pour y remédier, il faut le faire.