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Perspectives économiques pour le monde rural
Maisons de retraite et déchetteries
L’envers de l’iconomie
Article mis en ligne le 22 mai 2015
dernière modification le 1er septembre 2015

par Laurent Bloch

Il y a quelque temps j’ai entendu un collègue proclamer que les seuls secteurs économiques promis à quelque avenir sous nos climats seraient les soins aux personnes âgées et le recyclage des déchets. Il a bien sûr tort en ce qui concerne l’économie française en général, pour laquelle l’avenir est dans l’informatique et ses usages (Internet, réseaux sociaux, objets informatisés, etc.), mais des voyages réguliers dans le Haut-Poitou méridional m’amènent petit à petit à penser qu’en ce qui concerne ces régions rurales au réseau urbain quasi inexistant, il a peut-être raison.

En effet, l’économie de la révolution informatique, ou iconomie, n’irriguera pas les campagnes dépeuplées : l’iconomie repose sur le cerveau d’œuvre, qui remplace de plus en plus la main d’œuvre (merci à Michel Volle pour ses explications lumineuses), et le cerveau d’œuvre, pour prospérer, a besoin de contacts intellectuels fréquents et variés pour lesquels la grande ville est irremplaçable. Il faut donc trouver autre chose pour les campagnes.

Maisons de retraite

Des raisons personnelles m’amènent à fréquenter assidûment plusieurs maisons de retraite établies dans de gros bourgs de la Vienne, des Deux-Sèvres et de la Charente.

Comme tout le monde, avant d’être confronté à la question, je pensais que le maintien à domicile des personnes âgées avec l’assistance de personnels d’accompagnement était la solution humaine pour la perte d’autonomie. Une expérience cruelle m’a contraint à changer d’avis et à comprendre qu’il venait un moment où un environnement spécialement conçu animé par une équipe professionnelle pluri-disciplinaire était la seule solution praticable.

J’avais eu l’occasion de visiter des maisons de retraite il y a une vingtaine d’années : c’était assez épouvantable, digne de tel ou tel livre de Michel Foucault. Il faut savoir qu’aujourd’hui c’est très différent, au moins en ce qui concerne les maisons de retraite de Villefagnan et de Chasseneuil du Poitou où je me rends régulièrement. Les locaux sont vastes, lumineux, confortables, les pensionnaires disposent de chambres individuelles confortables avec des installations sanitaires indépendantes : sans cela il n’y a pas de dignité humaine. Mais l’essentiel est le personnel, le plus souvent assez jeune, patient, attentionné, professionnel, souriant ; chaque pensionnaire est connu de tous par son nom, traité avec amabilité, même dans les situations difficiles.

Bien sûr, comme toujours dans ce type d’organisation, le comportement du personnel dépend énormément de la personnalité de la directrice (ou du directeur). À Villefagnan (secteur public) comme à Chasseneuil du Poitou (secteur privé) elle et lui sont dignes de tous les éloges. J’espère que le management par objectifs et l’optimisation des processus, rengaines à la mode dans les milieux gestionnaires, ne viendront pas remettre en cause ce fragile équilibre.

Ce dispositif est évidemment très onéreux, mais l’évolution démographique et sanitaire fait que la société pourra de moins en moins échapper à son financement. Le coût, pour autant que je sache, est assez équitablement réparti entre la collectivité et les familles des pensionnaires, selon la solvabilité de ces dernières. C’est une activité intensive en emplois : dans une unité Alzheimer, pratiquement deux soignants pour trois pensionnaires, ce qui est une bonne nouvelle pour le marché du travail de ces contrées, où sinon il n’y a pratiquement plus de travail en dehors de la fonction publique (il faut nuancer : le Futuroscope est en partie sur le territoire de Chasseneuil et il offre des emplois, tant lui-même que la zone d’activité qui l’entoure ; Villefagnan est moins actif). Certains emplois sont qualifiés : psychologues, infirmières, diététiciens, kinésithérapeutes.

Ce dont on se rend compte au fur et à mesure que l’on observe mieux le fonctionnement de ces institutions, c’est que cela coûterait beaucoup plus cher en zone urbaine. D’abord en raison du prix du foncier : les bâtiments que je visite régulièrement sont vastes, entourés d’espaces verts, par nécessité sur un ou deux niveaux seulement, et néanmoins au cœur du bourg, ce qui permet aux pensionnaires suffisamment autonomes de visiter les commerçants, coiffeurs, instituts de beauté, et d’aller au restaurant en famille. Réunir ces conditions à Paris intra-muros coûte une fortune et n’est accessible qu’aux vieillards vraiment riches.

Les personnels ne reçoivent sûrement pas de salaires royaux, mais dans ces zones rurales le coût de la vie est bien moindre qu’en zone urbaine, surtout pour le logement. Le salaire qui leur permet de mener une vie décente et d’être propriétaires de leur logement en ferait des quasi-indigents en région parisienne.

Bref, l’idée que la création de telles institutions en zone rurale y soit une des seules activités économiques viables tient debout. Mais en voici une autre.

La déchetterie de Chef-Boutonne

Il y a près de quinze ans que je ne m’étais pas rendu à la déchetterie de Chef-Boutonne (chef-lieu du canton le plus méridional des Deux-Sèvres, et comme son nom l’indique lieu où prend sa source la Boutonne, principal affluent de rive droite de la Charente) ; à l’époque il y avait un enclos désert avec au milieu un tas d’épaves diverses et variées. Aussi, en m’y rendant il y a quelques jours, fus-je surpris de sa transformation : c’est maintenant un vaste parc arboré, avec un circuit automobile complexe qui permet d’accéder à une série de sites spécialisés par type de déchets, tels que mobilier, papiers-cartons, petit électro-ménager, encombrants, bois, métaux, etc. Chacun de ces sites de dépose est équipé d’une benne de grande contenance placée dans une cavité, de sorte que l’accès en soit facile. Autre nouveauté, la déchetterie emploie du personnel à plein temps pour guider l’usager dans le choix des bennes en fonction de la nature des objets dont il veut se débarrasser et pour assurer la sécurité et la logistique de l’ensemble.

Mais le plus étonnant est que cet endroit est devenu le principal lieu de sociabilité du canton, puisque qu’il s’agit d’une déchetterie inter-communale. Cette sociabilité n’est d’ailleurs pas uniquement désintéressée : ce dont untel veut se débarrasser fera sans doute le bonheur de tel autre et la beauté de son salon. Ce qui est déchet pour le bricoleur sera matière première pour le récupérateur de métaux. Bien sûr s’échangent là des conseils de bricolage, et la fréquentation est loin d’être uniquement masculine. Beaucoup de Chef-Boutonnais (ou banlieusards) y vont tous les jours, chacun possède maintenant une remorque et un dispositif d’attelage pour l’accrocher à sa voiture.

Bref, dans un canton qui a perdu les trois ou quatre petites manufactures d’il y a trente ans (laiterie, fabrique de layette, conditionnement de lapins prêts à cuire, pantoufles charentaises...) et l’essentiel de son emploi agricole, et où commence à immigrer une population de chômeurs en fin de droits parce que le logement y est bon marché, la déchetterie joue un rôle économique et social non négligeable.