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Croire ce nous savons
« Admettons que nous soyons certains, ou presque, que la catastrophe est devant nous, [...]. Le problème est que nous ne le croyons pas. Nous ne croyons pas ce que nous savons. » (Jean-Pierre Dupuy – Pour un catastrophisme éclairé, Seuil/Points n° 517, 2002, p.141/2)
Article mis en ligne le 29 novembre 2006
dernière modification le 3 décembre 2006

par Marcel Moiroud

Ce texte est une réponse de Marcel Moiroud à l’article À qui obéit votre ordinateur ? de Laurent Bloch.

Pourquoi des « tendances au renforcement du contrôle social » - dont la manifestation s’origine dans le 11 septembre 2001 et ses suites, peut-on dire pour faire simple – se traduisent-elles par des projets d’interdiction d’usages « qui ne reçoivent pas l’assentiment des puissances à l’oeuvre dans l’industrie des médias » ?

En quoi le fait de se révéler « nuisibles à la disponibilité et à........d’un petit nombre d’entreprises privées » est-il un retournement de ces tendances « contre leur objectif initial » ? Cet objectif s’identifierait-il « à la disponibilité et à la liberté d’usage légitime des systèmes d’information » ?
Qu’est ce « pouvoir excessif » qui se concentrerait « dans les mains d’un petit nombre d’entreprises privées » ? Qu’a-t-il à voir avec les « puissances à l’oeuvre dans l’industrie » ? Est-il moteur ou résultante des « tendances », ou l’un et l’autre, et, alors, comment ?

Un tel questionnement et le paragraphe qui le suscite sont un fourvoiement. De fait, l’auteur prend une position morale dans ce qui lui paraît être « un conflit de civilisation ». Cela apparaît clairement dès le paragraphe suivant.

D’une part, que l’attachement à des valeurs ait une dimension morale est hors contestation. D’autre part, sur toute la planète les civilisations dominantes sont mises en question. Et la France ne fait pas exception.

Pour autant, « l’ubiquité de l ’informatique et de l’Internet » ouvre-t-elle la voie à une « révolution culturelle » ? L’auteur le pense, car de « nouvelles pratiques culturelles [...] ont considérablement élargi le champ de la la liberté d’expression », et elles lui « apparaissent comme une évolution majeure de la civilisation et de la culture ». Il me paraît lisible entre les lignes qu’une telle révolution pourrait être d’une importance historiquement comparable à celle de l’avénement et de la prolifération de l’Imprimé. Mais, quelque soit le crédit d’une telle éventualité, les états du monde sont différents. Et, la différence est essentielle : ne pas la prendre en considération réduit toute prise de position morale à un voeu pieux.

Si le papier et l’impression avec des caractères mobiles furent d’abord inventés en Chine et en Corée, leurs utlisations furent longtemps pratiquement étatiques, et, conséquemment, en harmonie avec le contrôle social existant. En Europe, l’invention de Gutenberg fut d’abord perçue favorablement et son exploitation favorisée par les puissances publiques, d’ordre étatique ou religieux ; mais cette exploitation relevait d’initiatives privées qui concrètisèrent et stimulèrent puissamment la liberté d’expression. Ce fut une révolution culturelle, qui s’affronta rapidement à un contrôle social, d’abord exercé par l’Eglise catholique. Des particuliers et des entreprises privées étaient les tenants de la liberté d’information et de discussion, à laquelle s’opposaient les détenteurs institutionnels du contrôle social. Pendant plusieurs siècles il en fut ainsi.

Maintenant, il en est autrement. Là où une séparation de l’Etat et de l’Eglise est effective, l’Eglise ne peut plus guère être considérée comme une institution active de contrôle social. De celui-ci l’Etat est encore agent moteur, mais, sauf en de rares pays et, ailleurs, à l’exception de conjonctures éphémères, il n’est plus dominant. Tout au long du XX° siècle, il a viré vers un état symbiotique plus ou moins accompli avec des agents économiques, qui génère le plus souvent une nue subordination du premier aux seconds.

En interaction avec les processus en oeuvre dans la nature, inégalement mais en quotidienne progression, localement et mondialement, des processus techniques et des processus économiques impulsent l’évolution de notre planète, l’humanité comprise. Les impacts des activités humaines n’ont jamais été aussi massifs - sans qu’en soit infirmé l’adage de Ferguson, cher à Hayek : "Les nations se retrouvent face à des institutions qui sont bel et bien le résultat de l’action des hommes, sans être celui d’un projet humain". Quelques poignées d’hommes se tiennent aux commandes du (scientifico-)technique et de l’économique, leurs compétences étant habilitées dans les limites où elles concourent à la maintenance et à l’expansion des processus en cours ; car, PDG, ingénieurs ou directeurs de recherches, sont des rouages domestiqués par des logiques techniques ou/et économiques.

La qualité des hommes n’est pas question ; seulement la logique de leurs décisions. Chacune de celles-ci concerne un objectif particulier dans une perspective temporelle délimitée, alors que :

 les processus techniques et les processus économiques, non seulement ont les uns comme les autres leurs interconnexions propres inombrables, mais sont en incessantes interactions les uns avec les autres et avec les processus de la nature ;

 et que ces processus considérés dictinctement, de même que le système de leur interdépendance, sont dépourvus d’objectifs et génèrent des chaînes de conséquences sans limitations, ni domaniales, ni temporelles.

Une telle approche des événements du monde est nécessaire au positionnement historique de l’humanité et à la conquète de comportements raisonables et volontaires, qui sont indispensables à sa survie. Plus modestement, elle est requise pour éclairer des événements ponctuels qui jalonnent notre époque.

Ainsi : les agissements (excellement décrits dans l’article) d’ « un petit nombres d’entreprises » s’efforcent de renforcer surveillances et interdictions d’usages des ordiateurs et des réseaux – mais :

 Informatique et Internet ne sont pas tout miel. Ne sont-ils pas depuis des années de plus en plus instrumentalisés pour des gains monétaires et autres. Google régente l’information de l’usager ordinaire, et Microsoft son expression. L’informatisation d’innombrables fichiers et maints usages occultes de l’Internet réduisent en peaux de chagrin libertés et droits.

 Amiante, sang contaminé, embryologie humaine, ogm, déchets nucléaires, gaz à effets de serre, alcools, tabac : ce sont là – aux côtés de bien d’autres ! - autant de domaines où – consciemment - ont été ou/et sont mis en danger des hommes de maintenant ou des générations futures.

 Des valeurs de la civilisation qui est notre subissent les assauts croissants de puissances privées ou/et publiques, d’entreprises économiques ou/et techniques, de coalitions d’intérets financiers ou/et corporatifs. Même quand il ne se joint pas à ces assauts (en invoquant la sécurité des personnes et des biens ou la rationalité de son gouvernement) l’Etat s’avère impuissant à les stoper durablement.

Certes, l’informatique et l’Internet sont aussi porteurs de miel. Ils ont effectivement « élargi le champ de la liberté d’expression » et « engendré de nouveaux comportements dans la vie privée des citoyens ». Nonobstant, ce serait s’abuser qu’apprécier ces avancées comme une « véritable révolution culturelle ». Elles procèdent conflictellement de la même civilisation que les différentes formes de contrôle social.

A notre époque il ne peut y avoir révolution culturelle que dans la conscience reconnue de l’efficience autodestructrice de notre civilisation, et par la conformation de notre pensée et de notre volonté à la complexité domaniale et temporelle des effets de nos comportements décisonnels ou spontanés.

Précepte fondateur pour la révolution culturelle :« Avant toute décision, sonder l’incomplétude de son objectif. »